Le Cirque Rossolini

Chapitre 1

Le soleil était déjà haut dans le ciel et la chaleur de l'été sicilien rendait leur ascension difficile. Louis suait à grosses gouttes, et peinait à suivre le groupe. Qu'est-ce qu'il n'aurait pas donné pour un peu d'ombre et d'eau fraiche ! La tête commençait à lui tourner et il manqua de tomber à plusieurs reprises, seul le bras fort et stable d'Othello lui permettait de rester debout et de garder un peu de dignité. Othello, pourtant un athlète de profession, soufflait bruyamment. Seul Boss, devant eux, ne semblait pas être affecté par les conditions difficiles dans lesquelles ils se trouvaient. La détermination de Boss était une des raisons qui empêchait Louis et Othello de se plaindre ou d'appeler à faire une pause. Une autre raison : ils étaient terrorisés d'éveiller sa colère légendaire. Avant leur départ, Boss leur avait bien fait comprendre qu'il ne s'arrêterait pas pour les attendre. Ils s'enveloppèrent donc dans leur fierté et souffraient en silence. Ainsi, sans dire un mot, ils faisaient de leur mieux pour garder le rythme rapide et inchangé du vieux sicilien qui ouvrait la marche. Leur guide, un homme de plus de 70 ans, ne paraissait pas le moins du monde souffrir de l'exercice intense auquel il les soumettait depuis maintenant 1 h sous une chaleur étouffante. Avec une agilité admirable, il slalomait et escaladait les rochers sur leur passage, quelle que soit leur taille. Par orgueil ou impatience, Boss ne le lâchait pas d'une semelle, mettant de la distance entre lui et le reste de ses compagnons. Pas une seule fois, il ne jeta un regard derrière lui pour s'assurer que le reste de la troupe suivait toujours. Il arriverait à destination avec ou sans eux, ils l'avaient bien compris.

Louis jeta un regard derrière lui. Il n'était pas le seul à souffrir. Maitre Pelli peinait particulièrement. Ce dernier fermait leur procession silencieuse et devait presque courir pour ne pas se faire distancer. Il aurait bien crié au vieil Italien de s'arrêter, mais il était tellement à bout de souffle que prononcer un mot aurait été impossible.

En tête, Boss commençait à s'impatienter. Après 2 h de marche, il était, lui aussi, épuisé. Son visage était rouge, ses sourcils froncés, et il soufflait bruyamment. Bien qu'Othello et Louis soient habitués à des efforts physiques intenses, cette randonnée dans les montages était loin d'être une promenade de santé. Discrètement, Louis ralentit le rythme en faisant un signe de tête à Othello. Sans échanger un mot, il lui fit comprendre que tout allait bien et de continuer d'avancer. Louis et Othello, bien que née de deux mères différentes, pourraient être jumeaux. Non pas à cause de leurs apparences, mais plutôt à cause de leur proximité. Des années de cohabitation leur avaient permis de développer un sixième sens, leur permettant de communiquer sans un mot. Comprenant les intentions de Louis, Othello le doubla, avant de lui tendre discrètement sa bouteille d'eau. Louis ralentit le pas progressivement pour arriver à la hauteur de Maitre Pelli. Ce dernier était sur le point de s'écrouler d'épuisement.

« Vous allez bien Maitre Pelli ? », il lui demanda tout en lui tendant la bouteille.

Maitre Pelli s'en saisit en lui arrachant presque des mains. Il s'arrêta et but avidement le contenu de la bouteille. Louis jeta un regard devant lui. Ils ne devaient pas perdre le reste du groupe. Sans leur guide, ils seront incapables de retrouver leur chemin, et rester sans eau sous cette chaleur infernale pourrait être très dangereux.

« On doit continuer Maitre Pelli », dit Louis avec anxiété.

Maitre Pelli ne fit pas mine de bouger, regardant droit devant lui, le regard vide et le souffle court. Louis jeta plusieurs regards nerveux vers Othello et Boss qui étaient de plus en plus loin. Hésitant, il dévisagea Maitre Pelli de haut en bas.

« N'y pense même pas », répond Maitre Pelli en lui jetant un regard noir.

Pas besoin d'avoir la connexion magique que Louis et Othello partageaient pour deviner qu'il considérait sérieusement de mettre Maitre Pelli sur son dos. Maitre Pelli n'était peut-être pas de très grande taille, mais il préfèrerait encore se laisser mourir d'épuisement et de déshydratation dans ce désert rocailleux plutôt que de se laisser porter comme un enfant.