Chapitre 4.2

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Plus d'une vingtaine de personnes passèrent dans sa tente et Idi était épuisée. Elle se leva pour s'étirer longuement. Elle aurait aimé prendre une pause pour aller se balader et voir le spectacle d'autres membres du cirque. Elle n'avait pas vu le numéro de cabaret d'Hortensia, ou encore les pirouettes aériennes d'Othello et de Louis depuis plus d'un an. Ils avaient sûrement dû changer beaucoup de choses. Elle mourait d'envie de s'éclipser, mais déjà une autre personne s'avançait à l'entrée de sa tente. Elle poussa un soupir de frustration. Elle s'ennuyait à mourir et elle n'était pas près de partir.

Devant la tente d'Idi, Émilienne faisait les cent pas en hésitant à passer le pas de la porte, ou plutôt à tirer le rideau. Depuis qu'elle était entrée dans ce cirque, elle était passée au moins trois fois devant la tente de la voyante sans oser y mettre les pieds, pourtant elle en mourait d'envie. Quelque chose en elle lui disait qu'elle devait y aller. De peur de regretter sa décision si elle faisait demi-tour maintenant, Emilienne prit son courage à deux mains et s'avança déterminée vers la tente de la voyante. 

Elle entra en poussant plusieurs rideaux en gaze fine de toutes les couleurs. L'intérieur était sombre et seule quelques chandelles stratégiquement placées éclairait le centre de la pièce. Une table circulaire recouverte de plusieurs nappes de couleur se tenait au milieu de la pièce, accompagnée de deux chaises. Une pour la voyante et une pour sa visiteuse. Sur la table, une boule de cristal et un crâne ressemblant étonnamment à un crâne humain ajoute au côté théâtral et exagéré de l'image. La jeune femme s'arrête quelques secondes à l'entrée pour laisser le temps à ses yeux de s'ajouter à l'obscurité de la tente.

« N'ait pas peur ma jolie. Approche. », l'invite une voix douce et sensuelle.

Elle fait quelques pas dans la direction de la voix et remarque pour la première fois que quelqu'un est assis de l'autre côté de la table. Un voile de fumée l'entoure laissant trainer un lourd parfum de patchouli. La jeune fille tousse à plusieurs reprises, prise à la gorge par la forte odeur de l'encens qui brule de chaque côté de la voyante. Elle avance, hésitante. D'un signe de la main, la voyante l'invite à s'asseoir sur la chaise en face d'elle. Comme hypnotisée, elle s'exécute. La voyante la dévisage en silence. 

Le malaise de la jeune femme grandit, elle pense s'excuser et partir, mais quelque chose la retient clouée sur sa chaise. La voyante en face d'elle ne ressemble à rien à l'idée qu'elle se faisait. Elle s'imaginait une vieille femme, aux longs cheveux gris, un nez crochu et des mains osseuses tremblante, un peu comme une sorcière de conte de fée. Au lieu de cela, la femme qui la dévisage est d'une beauté à vous couper le souffle. Elle semble beaucoup trop jeune pour faire ce métier. Sa peau est lisse et pâle, loin de l'image de la gitane qu'elle se faisait. Ses cheveux d'un noir soyeux sont coupés à la mode parisienne. Seules les dizaines de bracelets qui sonnent à ses poignets et le voile posé légèrement sur sa tête et tombant sur ses épaules témoignent de sa profession. Sa robe légère laissait entrevoir un décolleté profond et la forme de ses seins. 

Émilienne rougie en remarquant qu'elle ne porte pas de soutien-gorge. Les yeux de la voyante sont d'un bleu profond et fixé sur elle avec une intensité qui la force à baisser la tête. Même si elle meurt d'envie de la dévisager plus longuement, elle n'ose la regarder. La chaleur monte à ses joues. Elle n'a jamais ressenti cela en la présence d'une autre femme.

« Je m'appelle Idi », finit par dire la voyante.

« Émilienne », répond la jeune femme en levant la tête timidement.

Idi lui sourit en la dévisageant. Émilienne se sent rougir de plus belle. C'est comme si elle pouvait lire ses pensées les plus secrètes, et à ce moment-là, Émilienne avait honte de ses pensées. Elle ne pouvait pas s'empêcher de jeter un coup d'œil dans le décolleter plongeant d'Idi, tout en sentant un sentiment d'envie lui envelopper le ventre.

« Qu'est-ce qu'il m'arrive ? », pensa Émilienne en détournant rapidement les yeux, consciente qu'Idi pouvait très bien voir son regard s'égarer là où il ne devrait pas.

Un léger rire résonna dans la gorge d'Idi. Émilienne rougit de plus belle. Elle n'aurait jamais dû entrer dans cette tente. À tout moment, elle était prête à prendre les jambes à son cou.

« Qu'est-ce qui t'amène dans la tente d'Idi, Émilienne ? », lui demande la voyante en se saisissant d'une pile de carte à sa droite.

Sa voix était chaude et hypnotisante. Elle parlait en un murmure et pourtant chacun de ses mots résonnaient dans la tête d'Emilienne, avant de se déplacer dans son corps entier. Elle en avait la chair de poule.

« Euh, je ... », commence Emilienne.

Elle ignorait pourquoi elle était entrée dans la tente de la voyante. Quelque chose en elle s'était sentie guidée vers l'entrée.

« Je ne sais pas », elle dit en un souffle.

Idi repose la pile de carte qu'elle commençait déjà à mélanger et tendit sa main vers Emilienne. Cette dernière, ne comprenant pas le geste, commence à sortir quelques pièces de sa poche :

« Combien ? ... », Émilienne demande d'une voix tremblante.

Elle avait cru que le prix de son billet couvrait aussi le prix pour cette séance, mais peut-être qu'elle se trompait.

« Non, donne-moi ta main », lui ordonne Idi fermement.

Embarrassé, le cœur d'Émilienne se mit à battre la chamade et elle tendit une main tremblante vers Idi. Elle se saisit de la main d'Émilienne qui se raidit immédiatement. Elle tourna la main d'Émilienne pour en exposer la paume et de sa main droite caressa du bout de son index plusieurs lignes. Émilienne retint son souffle. Idi fit lentement glisser son autre main le long du poignet d'Emilienne, la caresse laissa une brulure sur sa peau. Son cœur battait déjà beaucoup trop vite.

« Tu te poses beaucoup de questions Émilienne, n'est-ce pas ? », chuchote Idi sans cesser de caresser la main d'Émilienne.

Incapable de parler, la jeune fille se contente de hocher la tête, au bord de l'apoplexie.

« Tu veux savoir pourquoi tu hais ton mari ? », lui dit Idi, plongeant son regard droit dans le sien.

Le cœur d'Émilienne s'arrête. Comment pouvait-elle savoir ? Elle retira rapidement sa main. Un sourire se dessina sur les lèvres de la voyante, la main en l'air.

« Les cartes peuvent te dire ce que tu as besoin d'entendre », continue Idi en reprenant son set de tarot.

Émilienne n'osait plus parler ou même respirer. Les mains de la voyante avaient déclenché des fourmillements dans tout son bras. Pire, Émilienne réalisa qu'elle voulait qu'elle la touche de nouveau. Honteuse de ses pensées, elle s'apprêtait à partir quand la voyante posa la première carte sur la table. Elle s'arrêta en voyant ce que la carte représente. Une jeune femme, prostrée sur un lit, les mains couvrants sont visage comme une lamentation, et traversée par des épées. Cela ne peut pas être un bon présage, pensa Émilienne. Elle interrogea la voyante du regard, attendant des explications.

« Tu n'as jamais vraiment été heureuse, n'est-ce pas Émilienne. »

Le Cirque RossoliniOù les histoires vivent. Découvrez maintenant