Chapitre 1.4

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« C'est quoi ton problème l'ami ? »

Boss lui jeta un regard noir qui lui força à faire un pas en arrière. Non, il n'aimait vraiment pas ces hommes et celui-ci encore moins que les autres.

Maitre Pelli ne prit pas la peine de traduire. Boss avait déjà saisi l'homme par la gorge et serrait avec toute la force de sa rage. Pris par surprise et le souffle coupé, l'Italien ne parvint pas à émettre un bruit pour appeler ses hommes à l'aide. La bouteille qu'il tenait toujours à la main s'écrasa au sol bruyamment. D'un geste vif, Louis se saisit du fusil de l'Italien resté près de la chaise, pendant qu'Othello sortit deux couteaux de son pantalon. Sans qu'on ait besoin de lui dire, Maitre Pelli alla s'accroupir derrière la baignoire.

Boss serrait toujours la gorge du sicilien qui tentait tant bien que mal de se débattre en agitant ses bras devant lui. Son visage passa rapidement du rouge au bleu, et ses yeux injectés de sang semblaient être sur le point de sortir de leur orbite. Boss ne lâcha prise qu'une fois certain que l'Italien était mort. Il libera finalement la gorge de l'Italien qui tomba lourdement sur le sol, les yeux exorbités, la surprise figée sur son visage. Alarmé par le bruit, les deux gardes qui jouaient aux cartes un peu plus tôt, entrèrent dans la pièce. Othello et Louis les attendaient de chaque côté de la porte, prêt à les saisir. D'un coup précis et puissant, Louis assomma le premier garde qui passa le pas de la porte. Othello se saisit du deuxième. Il n'eut pas le temps de crier, qu'Othello lui trancha la gorge. Seul un sifflement étouffé s'échappa de sa bouche avant qu'il ne s'écroule au sol, la tête baignée dans son propre sang.

D'un signe de la main, Boss rappela à ses hommes qu'il restait encore quatre hommes dehors. Othello se saisit des fusils des deux gardes. Après avoir rapidement vérifié qu'ils étaient bien chargés, il lança avec adresse un des fusils à Boss qui s'en saisit s'en un bruit. Ce n'était pas la première fois qu'ils menaient ce genre d'opération. Louis fit glisser au sol un couteau pour Maitre Pelli. Il n'aimait pas les armes à feu, n'ayant pas la force de supporter le contre coup du tir. Il était bien plus à l'aise avec des couteaux. D'un geste de tête indiquant qu'il était prêt, Maitre Pelli se prépara pour l'assaut. Othello et Boss restèrent caché derrière chaque côté de la porte pendant que Louis se dirigea vers la porte d'entrée. Ses pas léger et précis de gymnaste lui permettaient de se déplacer sans un bruit. Doucement, il ouvrit la porte d'entrée tout en restant caché derrière.

Troublé de voir la porte s'ouvrir sans que personne sorte, les gardes s'aventurèrent à l'intérieur tout en appelant leur chef. N'obtenant aucune réponse, ils levèrent leur fusil devant eux et se précipitèrent dans la pièce suivante. Avec une précision mortelle, fruit de nombreuses heures d'entrainement, Maitre Pelli lança le couteau de Louis qui vint se loger exactement entre les deux yeux du premier homme à passer le pas de la porte. Profitant du choc et de la surprise des trois autres, Louis tira dans le dos du dernier pendant qu'Othello et Boss s'occupèrent des deux hommes en face d'eux. En moins d'une minute, ils avaient repris l'avantage, et les septs hommes gisaient inertes sur le sol boueux de la maison.

Louis jeta son fusil à terre avant d'enjamber le jeune garçon au sol, le crâne explosé et la moitié du visage déchiré. Il détourna le regard avec un pincement au cœur. Ce garçon était beaucoup trop jeune pour finir ainsi. En quelques enjambés, il rejoignit les autres maintenant regroupés autour de la sirène.

« Elle est toujours en vie ? », demanda Louis, écœuré de voir la jeune femme inerte.

« Oui, mais nous devons faire vite, elle n'a plus beaucoup de temps », les pressa Maitre Pelli.

« Et les coups de feu auront probablement alerté d'autres mafieux », ajouta Othello en allant monter la garde dehors, armé d'un des fusils volés.

Boss n'avait pas besoin qu'on lui rappelle l'urgence de la situation. D'un coup de fusil précis, Boss brisa la chaine qui maintenait la sirène prisonnière de la maison. Ils n'avaient pas le temps de lui retirer le collier de fer autour de son cou, ils devaient faire vite. La sirène libérée, Maitre Pelli et Louis firent un pas en arrière pour laisser Boss s'occuper d'elle. Ce dernier posa un genou à terre, devant la baignoire et passa une main affectueuse dans les cheveux graisseux de la sirène. Avec une douceur religieuse, il mit les deux bras dans l'eau putride et souleva la sirène en prenant soin de laisser sa tête reposer sur son torse. Son bras gauche branlant lui donnait l'aspect d'une morte. Elle avait perdu beaucoup de poids. Sa peau translucide laissait entrevoir chaque os de sa poitrine et sa queue de poisson semblait avoir perdu plusieurs écailles, laissant des morceaux de chair à vif bordé de sang coagulé. Perdus ou arrachés pour être vendue ? La voir dans cet état le mit dans une rage folle et le fit regretter d'avoir tué l'Italien aussi rapidement. Comme s'il avait lu dans ses pensées, Louis se pencha au-dessus de l'Italien et lui cracha au visage. Boss lui lança un regard reconnaissant.

« Boss ! », cria Othello dehors.

Au loin, plusieurs hommes couraient dans leur direction. Ils devaient immédiatement partir. Sans un regard pour les corps éparpillés, Boss sortit de la maison délabrée. Maitre Pelli ouvrit la voie, pendant que Louis et Othello, en fin de ligne, tirèrent pour ralentir l'avancée des nouveaux arrivants.

La descente était difficile, mais un chemin avait été délimité depuis la maison. Certainement par les geôliers de la sirène. Boss trébucha à plusieurs reprises, mais ne la lâcha pas un instant. Louis l'aida plusieurs fois à se redresser. Des coups de feu retentirent au-dessus de leur tête, mais l'inclination de la pente et les rochers énormes les mettaient hors d'atteinte. Après quelques minutes, les coups de feu s'arrêtèrent. Ils ne ralentirent pas leur allure pour autant. Ils devaient arriver à la plage le plus rapidement possible où elle mourait.
Le soleil commençait déjà à se coucher et dans moins d'une heure, ils ne verront plus où ils mettent les pieds. Boss serra un peu plus fort la sirène entre ses bras et accéléra le pas. La chaine attachée autour du cou de la sirène se balançait et venait lui fouetter les jambes. Il ignora la douleur.

Ils atteignirent la plage juste à temps. Un soleil flamboyant entamait son lent plongeon dans l'océan. Boss se jeta presque dans l'eau et couru jusqu'à ce qu'il soit submergé jusqu'à la taille. L'eau embrassa délicatement le corps de la sirène. À son contact, ses écailles de poissons se mirent à scintiller. Il regarda la sirène mourante dans ses bras et une pensée le paralysa : et si cette fois, elle ne revenait pas ? Il avait pensé la ramener au cirque avec eux, mais vu l'état dans lequel elle était, le voyage lui serait fatal. Elle mourait avant d'arriver à destination. Il n'avait pas d'autre choix que de la redonner à l'océan. Le seul endroit où elle pourrait guérir.

« Boss ? », appela Maitre Pelli en le voyant immobile.

Il avança dans l'eau, prêt à le seconder. Il n'était pas médecin, mais il avait assez lu sur le sujet et pratiqué sur les membres blessés du Cirque pour pouvoir mériter le titre de docteur. Certes, elle n'était pas humaine, mais il pourrait peut-être faire quelque chose pour la sauver. Le seul problème était qu'il nageait vraiment mal. Il aurait préféré que Boss vienne à lui, mais il ne bougeait pas.

« Boss ? », appela Maitre Pelli de nouveau, inquiet.

Entendant Maitre Pelli l'appeler, Boss fit la seule chose qui pouvait aider la sirène. Il avança un peu plus dans l'eau jusqu'à ce que la sirène soit presque complètement immergée. Boss sentit les courants autour de lui changer subitement. Les vagues semblaient la reconnaitre et vouloir embrasser le frêle corps de la créature. Immédiatement, le collier de fer qui lui emprisonnait la gorge s'ouvrit en un claquement métallique et coula au fond de l'eau. La mer avait reconnu l'une des leurs. Boss la sera un peu plus fort par réflexe, puis à contrecœur, la libéra. Il la lâcha lentement, sentant les vagues l'emporter. Avant qu'elle ne soit complètement hors d'atteinte, il se pencha vers son visage, la seule partie de son corps encore hors de l'eau, et lui murmura :

« Reviens-moi »

Avec ce qu'il lui restait de volonté et de courage, il lâcha la sirène et la laissa disparaitre, emportée par les vagues, avant de s'éloigner sans regarder derrière lui. 

Le Cirque RossoliniOù les histoires vivent. Découvrez maintenant