L'air froid du fleuve glissait sur ma peau, me glaçant jusqu'aux os. J'avais l'impression que chaque souffle que je prenais alourdissait l'atmosphère autour de moi. Les docks étaient presque déserts à cette heure, les ombres s'étiraient comme des spectres entre les bâtiments abandonnés. L'entrepôt que Marco m'avait indiqué se dressait devant moi, sombre et imposant, comme une bête en sommeil. L'ironie ne m'échappait pas. La Bête était là, quelque part, prête à me dévorer dès que j'aurais franchi le seuil.
Mon instinct me hurlait de faire demi-tour. Mais c'était trop tard. J'étais déjà engagée dans cette histoire, et si je faisais marche arrière maintenant, je ne reverrais peut-être jamais mon père.
Je m'avançai, mes pas résonnant faiblement sur le béton. Chaque mètre qui me rapprochait de la porte me donnait l'impression de m'enfoncer un peu plus dans l'obscurité. Je respirai profondément avant de toquer, trois coups secs. Ma main tremblait à peine, malgré la terreur sourde qui me nouait l'estomac.
La porte s'ouvrit brusquement, dévoilant un homme grand et imposant, vêtu de noir, qui me regarda de haut en bas avec méfiance. Il ne dit pas un mot, mais son regard en disait long. Il savait pourquoi j'étais là.
— Je suis venue voir Leone, dis-je d'une voix que j'espérais plus assurée qu'elle ne l'était en réalité.
L'homme ne répondit pas tout de suite. Puis, sans un mot, il me fit signe d'entrer. Le bruit métallique de la porte se refermant derrière moi résonna dans l'entrepôt vide. Mon cœur battait si fort que je craignais qu'il n'explose à tout moment. Mais je n'avais pas le luxe de céder à la panique.
L'intérieur était froid et faiblement éclairé par des ampoules vacillantes. Des caisses en bois étaient empilées le long des murs, et le silence pesant n'était interrompu que par le faible grincement de la structure du bâtiment. Chaque détail me donnait l'impression d'être piégée dans une toile que je ne pouvais plus quitter. L'homme me guida à travers un dédale de couloirs jusqu'à une porte plus petite, au fond. Il frappa doucement, puis s'écarta, me laissant seule devant elle.
Je pris une grande inspiration avant de saisir la poignée. Je ne pouvais pas reculer maintenant. Pas après être allée aussi loin.
La pièce était faiblement éclairée, presque plongée dans la pénombre. Mes yeux mirent quelques secondes à s'habituer à l'obscurité, mais je sentis immédiatement une présence. Une aura oppressante, presque palpable. Au fond de la pièce, assis dans un fauteuil, se trouvait Leone.
La Bête.
Même assis, il dégageait une puissance brute. Sa silhouette massive était à peine visible dans l'ombre, mais je pouvais distinguer les traits de son visage marqué par de profondes cicatrices. Ses yeux, sombres et perçants, se posèrent sur moi avec une intensité qui fit monter la tension dans la pièce d'un cran. Il ne bougea pas, ne parla pas. Il attendait.
Je rassemblai tout mon courage pour prendre la parole.
— Je suis ici pour mon père, Vincent Dumont, dis-je, ma voix légèrement tremblante malgré mes efforts pour paraître calme. Il... il a une dette envers vous. Je suis venue pour le payer.
Un léger sourire effleura ses lèvres, mais il n'y avait rien de chaleureux dans ce geste. C'était un sourire froid, calculateur.
— Et qu'est-ce que tu comptes m'offrir en échange, Isabelle ? demanda-t-il finalement, sa voix grave résonnant dans l'espace clos. Ton père ne vaut pas grand-chose, tu sais. Il est endetté jusqu'au cou. Pourquoi devrais-je m'embarrasser de lui ?
Son ton était détaché, presque indifférent, comme si la vie de mon père ne signifiait rien pour lui. Mais ses yeux, eux, restaient rivés sur moi, scrutant chaque détail de mon visage, comme s'il cherchait quelque chose.