Les premiers rayons de soleil perçaient à peine l'horizon lorsque je quittai mon appartement, un sac léger à l'épaule. Le monde extérieur semblait en paix, en contraste total avec le chaos qui régnait en moi. La rue était déserte, à l'exception de la voiture noire stationnée à quelques mètres. L'homme à l'intérieur m'attendait, immobile comme une statue.
Chaque pas vers ce véhicule me rapprochait de l'inévitable. Une nouvelle vie, ou peut-être la fin de la mienne. Quoi qu'il en soit, le choix était fait. Je m'étais livrée à la Bête.
L'homme ne m'adressa aucun regard alors que je m'installais sur la banquette arrière. Le silence pesant entre nous n'était rompu que par le vrombissement sourd du moteur. Mon esprit, lui, était assailli de questions, de doutes. Je savais ce que j'avais accepté, mais je ne savais pas ce qui m'attendait.
La voiture s'éloigna rapidement de la ville, longeant le fleuve jusqu'à s'enfoncer dans une zone que je ne connaissais pas. Les bâtiments se faisaient de plus en plus rares, remplacés par des entrepôts massifs et des terrains vagues. Finalement, nous arrivâmes devant un imposant domaine entouré de hauts murs de béton. Des caméras de surveillance montaient la garde à chaque angle, et une lourde grille en fer bloquait l'accès. Ce n'était pas une maison, c'était une forteresse.
Mon cœur se serra alors que nous pénétrions dans l'enceinte. Le manoir se dressait au loin, dominant l'espace avec une arrogance froide. Il semblait aussi inhumain que celui qui l'habitait. L'homme à l'avant ne m'avait toujours pas adressé la parole, et je compris qu'il ne le ferait pas. Ici, je n'étais qu'un pion dans un jeu dont les règles m'échappaient encore.
La voiture s'arrêta brusquement devant l'entrée principale. Avant que je n'aie le temps de bouger, la porte s'ouvrit, et l'homme me fit signe de descendre. Il ne m'adressa qu'un seul regard, froid et impénétrable, puis se dirigea vers l'arrière du manoir sans un mot. J'étais seule.
Je pris une grande inspiration et me dirigeai vers la porte d'entrée, mon sac serré contre moi comme un bouclier dérisoire. Avant même que je ne puisse frapper, la porte s'ouvrit sur un autre homme, grand, aux traits durs, qui semblait attendre mon arrivée.
— Suivez-moi, ordonna-t-il d'une voix rauque.
Je le suivis à l'intérieur, mes pas résonnant sur le sol de marbre. L'intérieur était encore plus impressionnant que l'extérieur, décoré de tableaux anciens et de meubles en bois sombre, créant une ambiance presque intimidante. Mais ce qui dominait l'atmosphère, c'était ce silence lourd, pesant, comme si l'endroit lui-même attendait quelque chose. Ou quelqu'un.
L'homme me guida à travers un long couloir avant de s'arrêter devant une porte massive. Sans un mot, il l'ouvrit et me fit signe d'entrer.
Je franchis le seuil, et mes yeux mirent quelques secondes à s'adapter à la pénombre de la pièce. Leone se tenait là, au centre, debout près de la fenêtre. La lumière du matin baignait son visage de teintes dorées, mais cela ne parvenait pas à adoucir l'aura de danger qui émanait de lui.
Il se tourna lentement vers moi, son regard sombre et perçant se posant sur ma silhouette frêle. Un sourire étira légèrement ses lèvres, mais il n'y avait aucune chaleur dans ce geste. C'était un sourire de conquérant, un sourire de prédateur face à sa proie.
— Isabelle, murmura-t-il, comme pour savourer chaque syllabe de mon prénom. Tu es venue.
Je déglutis difficilement, incapable de détacher mon regard du sien.
— Comme promis, répondis-je d'une voix plus faible que je ne l'aurais voulu.
Il s'approcha de moi lentement, ses pas résonnant dans la pièce silencieuse. Chaque mouvement semblait calculé, mesuré, comme s'il jouissait de ce moment où je ne pouvais plus fuir. Lorsqu'il fut assez proche pour que je sente son souffle, il tendit la main et effleura une mèche de mes cheveux, ses doigts froids contre ma peau.
— Tu n'as pas peur de moi, Isabelle ? demanda-t-il, sa voix douce mais chargée de sous-entendus.
Mon instinct me criait de reculer, de m'éloigner de cet homme, mais je restai figée sur place.
— Je serais idiote de ne pas avoir peur, admis-je.
Son sourire s'élargit légèrement.
— Et pourtant, te voilà.
Je le fixai, essayant de comprendre ce qu'il attendait réellement de moi. J'étais venue pour sauver mon père, pour le libérer de ses dettes. Mais qu'allait-il vraiment exiger de moi ? J'avais beau chercher dans son regard, il restait insondable.
— Qu'attendez-vous de moi ? demandai-je enfin, brisant le silence oppressant.
Il laissa échapper un léger rire, presque amusé par ma question.
— Je t'attends, toi, Isabelle. Pas une somme d'argent, pas un service. Toi, entière et sans réserve. Est-ce trop demander ?
Mon cœur se serra à cette déclaration, et je sentis la panique monter en moi. Qu'impliquait réellement cette requête ? Leone était un homme de pouvoir, un homme habitué à tout contrôler, à obtenir tout ce qu'il désirait. Mais que signifiait pour lui « m'avoir, entière » ?
Je tentai de cacher mon trouble, mais il vit clair en moi.
— Ne t'inquiète pas, ajouta-t-il en approchant encore. Je n'ai pas l'intention de te briser tout de suite. Ce serait trop facile. Je préfère prendre mon temps.
Ses paroles résonnèrent dans la pièce comme une menace à peine voilée. Le piège se refermait lentement sur moi, et je réalisais qu'aucune issue n'était possible. J'étais prise dans le jeu d'un homme dont je ne connaissais ni les règles, ni les limites.
— À partir d'aujourd'hui, tu restes ici, sous mon toit, déclara-t-il d'un ton qui ne laissait aucune place à la contestation. Tu apprendras à vivre selon mes conditions.
Je voulus protester, mais les mots moururent dans ma gorge. Je savais que quoi que je dise, cela ne changerait rien. Leone avait déjà gagné.
— Ton père sera libéré aujourd'hui, ajouta-t-il comme pour me rassurer. Mais souviens-toi, Isabelle... ce que je donne, je peux aussi le reprendre.
Il recula légèrement, brisant le contact oppressant qu'il exerçait sur moi.
— Tu es libre d'explorer le manoir, reprit-il avec désinvolture. Mais n'oublie pas : tu es à moi. Et je m'attends à ce que tu te comportes en conséquence.
Je restai figée sur place, le cœur battant à tout rompre. Leone tourna alors les talons et quitta la pièce sans un regard en arrière, me laissant seule dans cet espace immense et froid. La réalité de ma situation s'imposa à moi avec une brutalité soudaine.
Je n'étais plus libre.
Je venais d'entrer dans la cage de la Bête.