Chapitre 5 : Un cri dans la nuit

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La nuit était tombée sur Saint-Vincent, et le silence pesait lourd dans les couloirs. Cley, allongé dans leur lit, observait les ombres qui dansaient sur le plafond. Le sommeil, comme d'habitude, restait insaisissable. Chaque nuit, ils attendaient ce moment où leur corps cèderait à l'épuisement, mais leur esprit restait prisonnier de boucles de pensées, incapables de lâcher prise.

Ils jetèrent un coup d'œil vers l'horloge accrochée au mur. 2h45. C'était toujours autour de cette heure-là que tout devenait plus oppressant, que la solitude et le silence prenaient une tournure angoissante. Leurs pensées revenaient encore et encore à cette idée de "réparation", évoquée par Samira plus tôt dans la journée. Est-ce que c'était vraiment possible de se "réparer", ou devait-on juste apprendre à vivre avec les fissures ? Cette question revenait sans cesse, comme un écho persistant dans leur tête.

Tout à coup, un cri perça le silence de la nuit. Un hurlement aigu, déchirant, qui résonna dans tout l'étage. Cley se redressa d'un bond, le cœur battant à tout rompre. Le cri s'était coupé aussi brusquement qu'il était apparu, mais son écho résonnait encore dans leur esprit.

Ils se levèrent lentement, leurs pieds nus touchant le sol froid. Cley savait qu'ils n'étaient pas censés quitter leur chambre la nuit, mais l'angoisse palpable dans l'air les poussait à bouger, à comprendre ce qui venait de se passer. Ils enfilèrent rapidement leur sweat et ouvrirent la porte avec précaution.

Le couloir était presque désert, illuminé par des néons faiblards. Quelques infirmiers et aides-soignants se précipitaient vers une chambre au bout du couloir, leurs pas résonnant sur le carrelage. Cley hésita un instant, puis décida de suivre le mouvement, leur curiosité prenant le dessus sur la peur.

Arrivé à proximité de la chambre, ils se cachèrent derrière un coin de mur, observant discrètement la scène. Une porte était ouverte, révélant une chambre dans laquelle plusieurs infirmiers s'affairaient autour d'un patient, visiblement en crise. Cley aperçut de loin un visage convulsé, les traits déformés par une terreur indescriptible. C'était l'homme qu'ils avaient vu dans le jardin plus tôt ce jour-là, celui qui semblait toujours sur le point de disparaître.

« Ça recommence... » murmura une des infirmières, son visage marqué par la fatigue et la routine de ce genre d'incidents.

« Il a encore refusé ses médicaments ce soir, » répondit un autre soignant. « Je crois qu'il est trop loin maintenant. »

Cley sentit un frisson leur parcourir l'échine. Trop loin. Que voulaient-ils dire par là ? Était-il possible d'aller si loin que même les médecins ne pouvaient plus nous ramener ? Cette idée fit naître une peur profonde en eux, une peur qu'ils tentaient depuis longtemps de repousser. Et si eux aussi allaient trop loin, à un point de non-retour ?

Les soignants firent sortir l'homme de sa chambre, son corps agité se débattant faiblement. Il était visiblement en proie à une terreur qu'il ne parvenait pas à exprimer autrement que par ces cris et convulsions. Cley se recula un peu plus dans l'ombre, ne voulant pas être remarqué.

Une fois l'homme emmené, le couloir retomba dans le silence. Les infirmiers s'étaient éparpillés, retournant à leurs postes, comme si cette scène n'était qu'une autre nuit ordinaire dans cet hôpital. Mais pour Cley, quelque chose s'était brisé. Ils n'avaient jamais vu de crise aussi violente, et cette vision s'inscrivit dans leur esprit comme une ombre qu'ils n'arriveraient pas à chasser.

Ils retournèrent dans leur chambre, les jambes tremblantes. Une fois la porte refermée, ils se laissèrent tomber sur le lit, le souffle court. Leur esprit tournait à toute vitesse, et ils ne pouvaient s'empêcher de revoir encore et encore le visage de cet homme. Quelque chose dans son regard les avait marqués. C'était plus qu'une simple terreur. C'était une douleur brute, viscérale, celle d'un être qui avait perdu tout contrôle de lui-même.

Cley ferma les yeux, mais à chaque fois qu'ils essayaient de se détendre, ce visage réapparaissait. Finalement, ils attrapèrent leur carnet et commencèrent à écrire. Les mots étaient leur seul échappatoire, leur seul moyen de canaliser cette peur sourde qui les envahissait.

"Qu'est-ce qui m'attend ici ? Est-ce que je vais finir comme lui ? Je ne veux pas. Je ne veux pas être réduit à ça. Mais parfois, je sens que je perds pied, que quelque chose en moi se détache... Et si je n'arrivais plus à revenir ?"

Ils marquèrent une pause, leur main tremblant légèrement. Ces pensées les effrayaient, mais elles étaient réelles. Elles faisaient partie de ce qu'ils traversaient, de ce qu'ils étaient ici pour affronter. Mais comment affronter quelque chose que l'on ne comprend pas vraiment ? Comment lutter contre une part de soi qui semble s'effondrer ?

Cley se laissa tomber en arrière, le carnet toujours ouvert sur leur poitrine. La peur du "trop loin" pesait sur eux comme une ombre omniprésente, mais ils ne pouvaient pas la fuir. Pas ici, pas maintenant.

Alors qu'ils fixaient le plafond, leur esprit enfin épuisé par la spirale de pensées sombres, ils sombrèrent peu à peu dans un sommeil agité. Des fragments de rêves tourbillonnaient autour d'eux — des visages inconnus, des bribes de phrases sans sens, des images floues de l'homme en crise, ses yeux hantés par quelque chose d'invisible.

Mais dans le fond de ce rêve chaotique, une voix douce résonna, faible mais distincte : "Tu n'es pas seul." Et pour la première fois depuis longtemps, Cley sentit un mince fil de réconfort se glisser dans leur inconscient, leur offrant un moment de paix, aussi fragile soit-il.

Dans les ombres de soiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant