Tarzan

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J'avais abandonné mon vélo dans la rue. Dans son panier, une claquette orpheline. J'avais à l'époque cette manie d'ôter mes souliers quand j'allais jouer dehors. Et lorsque je roulais à toute allure, louvoyant, faisant crier les roulettes en plastique, mes claquettes bringuebalaient dangereusement devant le guidon, et mes pieds sur les pédales étaient nus et sales. Je savais que ma mère, en fin d'après-midi, allait s'amuser de mes genoux verts et de mes pieds noirs, et qu'elle me frotterait fort dans l'eau du bain. Chatouilleuse, je rirais de plaisir lorsqu'elle passerait le gant entre mes orteils.

Ce jour-là, j'avais abandonné mon vélo dans la rue et regardais mon reflet dans la vitre arrière de la Renault 19 de mes parents, garée devant la maison. Je portais un short couleur framboise et un débardeur pastel. La courbure de la carrosserie déformait mon image en son centre, créant des proéminences. Le reflet zébré de mes cuisses potelées couvrait l'entièreté de la surface de la portière, mais ce n'était pas grave : en réponse aux moqueries de Margaux sur leur grosseur, ma mère m'avait assuré que j'étais simplement musclée. J'avançai ensuite mon bassin et sortis mon ventre, pour me donner des allures de femme enceinte. Je relevai mon vêtement pour observer : il y avait là un petit trou qui me faisait penser à un hublot de sous-marin, ou à l'oculaire d'une longue-vue, à travers lequel, j'en étais sûre, on pouvait voir mes entrailles. Mais l'orifice se transformait en sourire moqueur chaque fois que je me penchais sur lui. Je mis mon doigt à l'intérieur pour le faire taire et relevai mon débardeur jusqu'à mon cou. Je jugeai alors les deux petits boutons roses sur ma poitrine, ceux-là même que j'appelais déjà « seins » et que je cachais avec mes petites mains l'été à la piscine, ce qui faisait rire mon père.

Je constatai quelques années plus tard que deux petites tumeurs, gangrénant peu à peu mon enfance, étaient apparues sans que j'y prenne garde, et avaient commencé à s'accroître. Je me mis à regretter l'époque où je pouvais me pavaner sur la terrasse dans mon slip de bain vert, comme un petit Tarzan, torse nu et cheveux emmêlés. 

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