Elle était la silhouette évanescente dans l'éclairage pâle du soleil d'octobre. Mes yeux restaient quelques secondes suspendus à sa chevelure, que la caresse subtile du vent faisait danser au rythme des coups de pédale.
Vint l'après-midi qui marqua l'aube. C'était un après-midi contemplatif, de colloque muet avec les nuages qui me regardaient à travers la vitre du toit. Je décidai de sortir de ma langueur pour aller me faire un thé, le pas trainant. C'est alors qu'un rayon blanc perça la grisaille : la fille du vélo était là. La formule de Flaubert « ce fut comme une apparition » n'aurait pu trouver meilleure illustration que celle-ci. L'apparition se préparait un café, effectuant chacun de ses gestes avec une certaine allégresse. Elle était belle, et sa brillance d'opale blanche brouilla en mon esprit la suite des évènements. Je me souviens simplement avoir eu peur de brûler ses mains si fines, en versant l'eau fumante dans le verre qu'elles tenaient.
Désormais le moindre chuchotement de roue sur le béton mouillé me sortait de ma torpeur : chaque vélo était devenu sien.
Parfois, dans le silence studieux qui pesait dans la salle, mon regard se tournait vers elle. Je contemplais quelques instants ses cheveux qui tombaient en cascade, sa main qui courait sur le papier, avec la multitude de bagues qui l'habillait. Cette main que j'aurais volontiers prise dans la mienne. Et quand résonnait le son de sa voix, un battement dans ma poitrine semblait y répondre. Il m'arrivait d'imaginer en moi une plante grimpante, de mon bas ventre jusqu'à ma gorge, grandissant davantage à chacun de ses sourires. Alors j'étais heureuse que quelque chose m'anime de nouveau.