SORCIÈRE !

10- Jouir de tuer

J'ai fini par cramer toutes les mauvaises herbes qui poussent entre les fissures des bâtiments abandonnés dans lesquels je m'entraîne. Faut dire que je venais ici tellement souvent que j'ai fini par y dormir et y vivre. Comme une vraie SDF que je suis, j'ai installé mon lit, une veille table défraichie et une dizaine de couvertures. 

Après la visite de l'huissier, mes parents n'ont pas réussi à couvrir toutes leurs dettes. Je me suis débrouillée pour leur trouver un petit studio, que je paie et je leur ai dit que j'habitais chez une amie. A mon âge, on peut vivre dehors... En plus, avec mes pouvoirs, je ne crains plus rien. Ce qui est assez étrange, c'est que personne ne soit encore venu s'aventurer jusqu'ici. Il y a au moins 5 immeubles et deux hangars déserts, ici. Pourtant, nulle trace de squatteur. Le seul visiteur que je reçois c'est ce fichu chat qui vient de temps en temps me réclamer une réponse. 

Une réponse ? Une réponse à quoi au juste ? Une réponse à cette sublime créature qui avait osé m'embrasser sans mon consentement ? Mais, elle se croyait où cette pimbèche ? On n'est plus en 1900 ! Elle connaît pas me too ? Rien que d'y penser mon coeur s'emballe. Je ne sais pas quoi penser de cette femme qui se fait passer pour Belle Zébute. Je ris doucement. 

_ Ah ! Enfin !

Je me tourne surprise d'entendre une autre voix que la mienne dans ces ruines. 

_ Qu'est-ce que vous foutez-là ? dis-je, les flammes sur le point de poindre.

Une vieille dame se montre à moi, sortant de derrière des débris de pierre. Elle s'avance dans une lenteur infinie. Je m'impatience et viens la rejoindre.

_ Que voulez-vous ? 

_ Je te cherche depuis, au moins, 3 jours.

J'examine ses rides, sa peau flétrie et sa bouche inexistante. Je m'approche encore plus d'elle. Elle sent les fleurs et je trouve ça particulièrement surprenant. Peut-être que je m'imaginais une senteur d'urine et de pourriture ? Je m'étonne de la façon si sinistre dont je vois certaine personne. Cette vision m'avait même choquée quand j'étais chez ma cousine. Mon hôte me sort de mes réflexions en toussant gentiment :

_ Alors, ma jolie ? As-tu choisi ?

_ Quoi ? 

Elle lève les yeux, son regard semble éclairé de l'intérieur et soudain, la merveilleuse et attirante dominatrice réapparait. 

_ Tu n'as toujours pas compris ? Alors tu serais dotée de merveilleux pouvoirs flamboyants mais pas d'une intelligence assez solide pour deviner ce qu'il se passe ? Mamie Jo ne t'a-t-elle pas tout révélé ?

_ Comment connaissez-vous Mamie Jo ?

_ Je la connaissez parce que je connais toutes les sorcières.

Je m'éloigne car elle s'approche. Je ne veux absolument pas qu'elle réitère son baiser. Tous ces problèmes que j'ai et que je n'arrive pas à résoudre ne sont pas faits pour faciliter mon apprentissage. 

_ Ecoute, ma chère Eleanore... J'vais faire simple... Moi, je suis comme on dit LE MAL. Et quand on est sorcière, on doit choisir de me suivre.

_ Ou ? 

_ Comment ça "ou" ?

_ Ou ? Oui, ou ? S'il y a un choix, ça veut dire qu'il y a minimum deux possibilités. Donc, c'est soit vous, soit quoi ? Dieu ? 

Elle secoue sa silhouette comme si elle avait du poil à gratter entre ses fesses divinement charnues. Elle sourit, étend ses ailes dans sa totalité, provoquant chez moi une vague de panique et de désir que je réfreine en reculant de quelques pas.

_ Toi, ma jolie... Tu n'es pas une sorcière comme les autres.

_ Comme les autres ? Parce qu'il y en a d'autres comme moi ?

_ Oh oui! Il y en a plein... Mais elles n'ont pas ton charme à croquer. J'ai envie de t'avaler toute crue. 

C'est la première fois de ma vie qu'on me parle comme ça. Je la trouve obscène et excitante à la fois. Je reprends mes esprits en croisant du regard le chat noir, son fidèle compagnon, qui se balade sur mon lit. 

_ Tout ça ne me dit pas pourquoi je dois te choisir et surtout, au dépens de qui, je dois te choisir ?

_ Alors, premièrement, peut-être que tu n'es pas au cours mais depuis des siècles, toutes les sorcières m'appartiennent... C'est comme ça ! Elles me choisissent toujours. 

Elle replie ses ailes, pose ses mains sur ses hanches, mettant ses seins en avant et m'observe en silence. Je tiens son regard et déglutis :

_ Et deuxièmement ?

Elle rit, me rejoint en un bruissement d'ailes et annonce :

_ Ne vas pas croire un seul instant que tu m'échapperas.

_ Je ne crois rien. Je veux simplement savoir ce qu'il en est.

Elle entrouvre ses lèvres sublimes, y passe une langue musclée et étale devant mon visage ses dents carnassières :

_ Eleanore... Tu es à moi !

Mon coeur bat jusque dans mes oreilles mais je ne veux lui montrer ni ma peur, ni mon envie. Elle lève sa main, caresse ma joue et me déclare, sans sourciller.

_ D'une façon ou d'une autre, tu es à moi.

Un point noir oscille sur le côté droit de mon champ de vision. Je sais que son acolyte félin nous regarde. Il est le témoin privilégié de cet accord que je suis sur le point de scellé.

_ Je dois faire quoi au juste pour t'appartenir ?

_ Tuer, bien évidemment. 

_ Alors c'est déjà fait... Tu ne sais pas pour Charles ?

_ Oh non, ma chérie ! Tu dois tuer... En toute connaissance de cause. Tu dois tuer par amour, par plaisir. Tu dois chasser, traquer.

_ Je ne suis pas sûre de pouvoir faire ça.

_ Je sais que tu peux le faire.

Elle rabat ses ailes dans son dos, les hisse le plus haut possible vers le ciel et s'envolant dans un volute noire épais, elle ose :

_ Je veux te voir jouir de tuer.