Je suis exténuée. Cette séance d'entraînement improvisée que je me suis imposée est éreintante. Le hangar est froid, désert et silencieux. Il y règne un écho effrayant.
Je m'y sens tellement à mon aise que je me couche sur le béton froid et pose les paumes de mes mains sur le sol. Je concentre mes émotions pour les faire circuler sur les veines de mes mains. Le filet de feu, de jaune, de rouge et d'orange jaillit comme une pétarade du 14 juillet. Les flammes glissent sur le sol et noircissent le ciment. Je suis la trajectoire de mon feu et il s'éteint quelques mètres plus loin.
La chaleur intense a transpercé les particules de sable. J'ai senti les vibrations jusque dans mes reins. C'est impossible que je sois si puissante et excitée. Mon corps bout. Je cherche dans ma mémoire comment redevenir l'Eleanore, douce et bien éduquée, que ma mère aime tant. Mais rien n'y fait.
Plus j'utilise mon pouvoir, plus je me sens invincible, plus ma rage emplie mon corps d'émotions insoupçonnables.
Je déglutis, effrayée par moi-même. Je me redresse avec agilité et comme je suis seule, dans ce hangar perdu au milieu de nul part, je m'autorise à crier :
_ Je suis une putain d'héroïne !
Des larmes dorées scintillent au bout de mes ongles et mes muscles se tendent dans une brûlure ravageuse, étrangement agréable.
Tout à coup, je me sens mal à l'aise. Le froid redevient piquant et mes forces m'abandonnent. Je ne crois pas que je vais pouvoir maîtriser mes pouvoirs, tout de suite.
Je souffle épuisée, exaspérée mais pas totalement démoralisée par cette journée qui s'achève.
J'ai faim. Je regarde l'horloge de mon téléphone. 19h est passé. Ok, pour ce soir, le repas familial, c'est mort ! Ma mère, en bonne maîtresse de maison met un point d'honneur à servir le diner tous les soirs, que Dieu fait, à 19h pile. Gare à vous, si vous arrivez après ! Pendant mes études universitaires, j'avais passé quelques soirées le ventre creux à cause de sa manie.
Pas grave ! Je ne suis plus à l'université. J'peux bien trouvé un billet pour m'acheter un menu quelque part, non ?
Je remonte dans ma voiture, fouille mon sac et y trouve le fameux argent. Je pousse un soupire de satisfaction, enclenche le moteur et un petit chat noir saute sur mon capot.
Je sursaute, mes veines clignotent de dorures l'espace d'un instant et je suis l'animal du regard.
Il bondit plusieurs fois sur la voiture, court vers le hangar, revient vers moi et repart.
_ Veux-tu que je te suive ? dis-je comme une débile parlant à un chat.
Le félin écarquille ses yeux, comme s'il me comprenait. Malgré l'effet que je me fais, j'empreinte le même chemin que l'animal.
Le hangar est bien plus grand que je ne l'imaginais. Il n'y a pas un mais plusieurs bâtiments. Tous déserts. Tous parfaitement insalubres, abandonnés et bariolés de graffitis.
L'endroit n'inspire pas confiance. Je tends ma main vers le sol et tente de me laisser envahir par cette colère sourde qui sommeille en moi depuis des années. Le fil de mon sang rougit et j'ai du mal à former quelques molles étincelles au bord de mes phalanges.
C'est là, que je commence à me dire que mon sentiment de puissance de tout à l'heure, était uniquement dû à ma capacité à cracher des flammes par les doigts. Car là, tout de suite, maintenant : je ne suis qu'une femme au milieu d'un squatt abandonné dans un terrain désert. Qu'à cela ne tienne ! Je ne me laisserais pas intimider! Je ne me laisserais plus jamais intimider!
Je remonte mes manches jusqu'à mes coudes, inspire profondément et jette un oeil au chat noir devant moi. Il gesticule, il tortille ses fesses comme s'il était en rut et il pénètre plus profondément dans le dédale des bâtiments désaffectés.
Aveuglément, je marche sur ses pas. L'animal ronronne. Il me lance quelques oeillades assassines qu'il alterne avec un regard doux. Je me sens perdue.
Le labyrinthe n'est rien face à ce petit être qui semble vouloir parler. Je m'arrête. Je cogne du pied pour gagner son attention mais il continue sa route alors, je lui crie :
_ Arrête-toi, sac à puces !
L'animal se retourne. Je n'avais pas remarqué la couleur argentée de ses yeux. C'est pas commun, ça, pour une bête ! Cela dit, même pour un être humain, c'est pas commun.
Il m'examine avec attention en rebroussant chemin. Sa démarche est envoûtante. J'avale ma salive et suis des yeux ses mouvements chaloupés. Il s'immobilise à un mètre de moi. Je le domine, bien évidemment et pourtant son regard m'hypnotise.
Mon coeur bat la chamade, une bouffée de chaleur étreint tout mon corps et je me mets à suer des gouttes d'or perlant au sol, comme du métal en fusion.
L'animal étire ses babines, il paraît sourire.
Une envie inquiétante se réveille en moi, la trame de mes veines rougeoie et déferle sur mes bras et mes poignets, une vague de lave incandescente.
Je m'accroupis, je tends les mains et le jet brûlant jaillit de mes doigts.
Le félin ne bouge pas d'un millimètre. Il accueille les flammes sur ses pattes et son corps agile comme s'il s'agissait d'une brise. Il ferme les yeux pour apprécier la caresse.
J'ouvre la bouche, fascinée.
Puis, le chat émet un miaulement qui sonne comme un gémissement, tourne trois fois sur lui-même et disparaît...
VOUS LISEZ
SORCIÈRE !
ParanormalToute ma vie, j'ai subi les épreuves sagement. Jusqu'au jour où j'ai découvert qui j'étais ! Rien ne me fut épargné, même dans cette terrible initiation car la seule à pouvoir m'aider était déjà partie. Je n'ai pu me tourner vers personne. J'ai ca...