5-Une goutte de sang.

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Je ne cesse pas de repenser à ce chat. Comment a-t-il fait pour résister aux flammes? Je cherche une solution et visionne toutes les vidéos de ma grand-mère. Elles ne m'apprennent rien. Si ce n'est que je dois être très prudente et très discrète.

L'étui du dernier CD contient une jolie clé. Mamie Jo m'a encore légué un mystère.  Tu parles! Comme si j'avais besoin de ça, maintenant ! Ça ne suffit pas de découvrir que je peux cracher du feu par les doigts ? Est-ce que  je dois, en plus, faire une enquête à la Sherlock Holmes chaque fois que je veux une réponse ? Je suis sur le point de cogner mon bureau, mes veines se colorent déjà et je me retiens.
Je vais devoir apprendre à vivre avec ça.
Ma mère a raison, comme toujours. Je dois absolument me contrôler sinon ma vie deviendra vite un enfer. Ce n'est pas pour rien si je me terre ici depuis la mort de Charles. Je sens bien qu'à la moindre contrariété, je pourrais détruire l'humanité. Bon, ok, j'exagère ...
Mais toutes ses sautes d'humeur et toutes ses émotions intenses et débordantes, c'est trop pour moi ! Je ne me reconnais pas.

Mamie a dit que notre pouvoir est lié à notre caractère. C'est impossible me concernant ! Je n'ai jamais été comme ça. Cette sensation d'être constamment en colère, de bouillir intérieurement ce n'est pas du tout moi!

Mais alors, qui suis-je?

Le miroir en face de moi, me renvoie une image d'une banalité affligeante.
Connaissez-vous ces parisiennes qui portent des converses, des jeunes et de jolis chemisiers à fleurs discrètes ? Voyez-vous ces jeunes femmes aux longs cheveux bruns, à la coupe sage, lâchés dans le dos et qui pour une raison ou une autre les entortillent et les retiennent avec un stylo ou un pic en bois ? Avez-vous remarqué comme elles sont communes ? Combien en comptez-vous dans vos connaissances ? Combien se présente à votre vue quand vous êtes assis dans un café à Paris?

Et bien, ces femmes exagérément pétillantes et pourtant si banales : c'est moi !
Je suis un stéréotype à moi toute seule!

J'offre mon placard et mes choix vestimentaires sont affligeants. Plus rien ne correspond à ce que je suis aujourd'hui ou à ce que je pourrais devenir demain. Car, il n'y a pas de doute , mon don va modifier toute ma personnalité !

———

Voilà deux semaines que je m'entraîne quotidiennement dans ce hangar. Le chat n'est plus revenu et je m'efforce à ne plus y penser pour me concentrer sur mon pouvoir.
Je commence à maîtriser le jet de flamme et l'accompagnement de mes veines vers mes mains. À bien y réfléchir, j'ai l'impression de maîtriser mes émotions en même temps que mon pouvoir. En fait, je me demande  dans quelles mesures vais-je pouvoir reprendre ma vie.
L'argent vient à manquer et la vie sociale aussi. Je suis anxieuse de ce qu'il pourrait m'arriver et surtout ce que je pourrais faire. Mais je dois me remuer.

Avec anxiété, je me mets en quête d'un emploi, d'un logement et je réunis mes forces pour faire taire mes dons.

A Nice, tout parait plus facile qu'à la capitale mais les réponses sont aussi négatives.

Le soleil commence à m'accabler. J'avais oublié à quel point il faisait chaud, ici. Je parcours les rues, ma pochette de CV à la main. Si je ne trouve de boulot, je vais devoir avoir une discussion avec mes parents et cela ne m'enchante pas du tout.

_ Bonjour ? Le responsable ou le gérant est-il là? J'ai vu que vous cherchiez des serveuses et je voudrais déposer ma candidature...

Le mec derrière le bar, se retourne et m'envisage avec un sourire carnassier.  Il fait une moue, retourne à son rangement et crie :

_ Eh! Clara ! Y a une candidate !

La fameuse Clara apparaît dans la minute qui suit. Le visage doux, de grands yeux bleus, la bouche charnue peinturlurée de gloss rose et une petite chevelure au carré volumineux blond cendré ... elle est mignonne à croquer. Je lui souris, surprise moi-même de l'avoir si bien observée.
Elle me tend la main et m'invite de sa voix suave à m'installer à une table.
Je lui tends mon curriculum et elle le prend pour le ranger immédiatement sous ses bras croisés.

- Inutile... On est dans la restauration, pas dans   chez un expert-comptable! Alors comment tu t'appelles ?
_ Eleanore Palonetti.
_ Italienne ou corse ?
_ Les deux !
_ Charmant mélange de mafia et de mystères.

Je ne sais pas pourquoi cette déclaration me flatte et me vexe à la fois. J'étale mes doigts pour détendre mes muscles.

_  Alors Eleanore ? Quelles sont vos qualifications ?
_ Eh bien ! J'ai travaillé deux ans au Café Montmartre à Paris.
_ 2 ans? Et pourquoi êtes-vous partie ?
_ Mon appartement a pris feu et j'ai tout perdu.

Elle me regarde, croise ses jambes sous la table et me questionne à nouveau :
_ Vous maîtrisez les logiciels de gestion des commandes ? Vous avez des notions de cuisine, de plonge, d'hôte de caisse ou d'accueil ?
_ Oui pour tout sauf pour la cuisine. Je sais à peine  faire cuire un œuf ou des pâtes.

Elle rit, se lève et me demande :
_ Des enfants ? Un mari ? Des impératifs ? Dès conditions particulières ?
_ Aucune.
_ Ok. Viens demain pour le service de midi vers 10h!
_ J'y serai.

Je sors de la brasserie. Cette rencontre me laisse perplexe mais quelque peu soulagée.
Je traverse la rue, une brise balaie mes cheveux et je replace ma mèche derrière l'oreille.  
Je remarque alors sur le bout de mon index, une tache rouge : une goutte de sang !

SORCIÈRE !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant