Camille me tend l'enveloppe et m'annonce :
_ Tiens! Ta paye de la semaine.
Je prends l'objet et le glisse dans mon sac. Clara, occupée dans son bureau me fait un signe de main pour me dire au revoir. Je lui réponds par un sourire faible.
Je suis fourbue et j'en suis ravie. Au moins ce soir, avec toute cette fatigue je n'aurais pas à me soucier de mes pouvoirs . Enfin je l'espère._ Avant de rentrer chez moi, Camille, tu peux me servir un grand verre d'eau avec des glaçons, s'il te plaît ? Je crève de soif.
Le barman fait la moue et prenant déjà un verre il me demande :
_ Tu préférerais pas un bon cocktail ? Un Mojito ou autre ?
_ Non, merci. De l'eau, ça ira!
_ T'es pas fun, comme fille, toi!Je lève les yeux au ciel. Ça ne fait que quelques jours que je travaille ici et il m'a déjà dit cette phrase une bonne dizaine de fois. Camille est définitivement un charmant jeune homme mais il est aussi totalement idiot, ou plutôt carrément insouciant. Bref, typiquement le genre de personnes à qui je ne pourrais pas confier mon secret.
Je ne me refuse tout de même pas le luxe de le reluquer.
C'est homme de taille moyenne, mince, élancé et avouons-le stylé. Ces longs cheveux blonds sont noués à l'arrière de sa tête, dans un cardigan, façon mousquetaire débraillé. Je trouve ça attendrissant. Il a de grands yeux vert, un sourire entretenu, un visage ovale et un air atrocement décontracté. On dirait qu'il est toujours sur le point de vous sortir une vanne, mais, il choisit immanquablement l'option bienveillante. C'est affligeant ! Il est "cool en toute circonstance" comme il aime à le dire. Il n'est jamais stressé, ne cache rien et sourit constamment. Son corps, à peine sculpté par sa jeune vie de sportif, lui confère toutefois un charme doux. Je soulève un sourcil interrogateur devant son petit cul rebondi. Ouai ! Il est pas mal... Mais comme dirait une héroïne littéraire, "pas assez bien pour me tenter".
A mon tour de sourire face à cette réplique : il ne saura jamais qu'elle tourne dans ma tête et qu'il est l'objet détourné de cette citation.
L'eau me rafraichit les idées et la gorge. Camille se penche au-dessus du bar :
_ Tu fais quoi ce soir ?
_ Je rentre chez moi et je me couche.
_ J'te demande mais j'sais que tu vas dire non... Tu ne viendrais pas avec moi, prendre un verre ?
_ Pourquoi faire ? Il est presque deux heures du mat', tout est fermé et on est déjà dans un bar !
_ Oh, ça va... Pour c'que j'en dis moi ! Tu comprends rien....
Je l'observe, grommelant et me tournant le dos. Oui, son cul pourrait faire l'affaire le temps d'une soirée... Mais mince ! Qu'est-ce qu'il m'arrive ? J'suis pas comme ça, d'habitude !
J'avais vécu presque 6ans avec Charles et je n'avais jamais envisagé un homme pour une nuit. Jamais ! Même lorsque j'étais célibataire, jeune et bourrée d'hormones.
Je suis sûre que mon pouvoir y est pour quelque chose.
_ Toi, Eleanore, tu vas te calmer !
Voilà que je me réprimande à moi-même. J'vais devenir folle avec cette sorcellerie. Demain matin, à la première heure, je file au hangar. Je dois encore et toujours m'entraîner. Il est impensable que je devienne si incontrôlable.
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Le béton est brûlant. L'air est suffoquant et mes étincelles ajoutent à la moiteur ambiante. Il me semble que je suis là depuis des heures, je m'épuise inlassablement. De toute façon, c'est tout ce que je fais ici. Je n'ai pas trouvé d'autres moyens pour m'apaiser que celui de m'accabler de fatigue. Quand j'y pense, tout ça me fait peur. Qu'est-ce qu'il se passera si je m'habitue à la fatigue ? Vais-je devoir m'arrêter de dormir ou de manger ? Vais-je devoir m'aider de drogue ?
J'y pense quelque fois...
Je projette sans conviction mes flammes sur le mur noirci par mes soins. Le feu rebondit sur la surface déserte, s'éparpille au sol et s'éteint en petits tas tristes sur un sol nu.
Je voudrais que mamie Jo soit là. Elle pourrait m'expliquer ce qu'elle a fait de son pouvoir, comment elle l'a maîtrisé, qu'a-t-elle découvert chez elle et des tas d'autres choses dont je n'ai pas la réponse. Mon don de sorcellerie envahit tout mon esprit. Je n'ai plus le temps de penser à autre chose qu'à mon travail ou mon pouvoir. Je m'inquiète en continu de ce que mes émotions pourraient me faire vivre.
Je me laisse tomber, assise à terre en tailleur. Je positionne mes mains de part et d'autre de mes cuisses et laisse mon sang, comme une lave fumante, pénétrer les fissures du sol. Je le vois se répandre jusqu'au delà de ma vue. Il zigzague dangereusement entre les touffes de mauvaises herbes qui ont su percer le ciment. J'adore ce spectacle. J'ai l'impression que moi seule peut comprendre le dessin que mon sang crée.
Mon sang ? D'ailleurs, est-ce mon sang ? Je dis mon sang car le feu circule clairement dans mes veines... Mais cela peut-il être autre chose ? Oui ! Mais quoi ?
Je suis perdue dans cette pensée-là quand soudain, au détour du parcours de ma lave sanguinaire un oiseau se pose entre les traits incandescents. Je suis pétrifiée mais au lieu de retirer mes mains, je sens un souffle infernal attiser mon émotion. Je donne une grande impulsion à mes doigts, le dessin s'embrasse et l'oiseau n'a pas le temps de décoller.
Celui-là, n'était décidément pas un phénix !
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SORCIÈRE !
ParanormalToute ma vie, j'ai subi les épreuves sagement. Jusqu'au jour où j'ai découvert qui j'étais ! Rien ne me fut épargné, même dans cette terrible initiation car la seule à pouvoir m'aider était déjà partie. Je n'ai pu me tourner vers personne. J'ai ca...