PDV : Owen
Les jours s'enchaînaient, indistincts, chacun semblant se confondre avec le précédent. Le vide d'Aaron était devenu une partie intégrante de ma routine, une absence que je portais comme un fardeau. Je pouvais presque entendre le silence de l'appartement résonner dans ma tête, une cloche de fer que je ne pouvais échapper. Et chaque fois que je croisais son ombre dans les coins de la pièce, une nouvelle vague de culpabilité m'envahissait. Parce qu'en fin de compte, je savais que c'était ma faute.
Je n'avais pas vu qu'il se noyait. Je n'avais pas vu qu'il partait lentement dans sa propre dérive, comme un navire que l'on laisse sombrer sans intervenir. Je m'étais concentré sur moi-même, sur mon art, sur mes toiles. Et lui, là, fragile comme il était, je l'avais ignoré, laissé se perdre sans même tendre la main. Parce que j'étais trop préoccupé à me convaincre que mes propres démons étaient plus importants.
Je ne lui ai pas demandé s'il allait bien. Je ne l'ai pas vu se détruire, et quand j'ai fini par le remarquer, il était trop tard. Il s'était échappé dans les rues, dans l'invisible, dans l'échec qu'il portait en lui. Il était parti en silence, sans un mot, sans un au revoir. Et moi, j'étais resté là, à me dire que tout allait aller. Que tout finirait par s'arranger. Mais ça ne s'est pas arrangé. Tout a dégénéré.
Les soirs où je devais lui parler, les soirs où je devais lui demander si ça allait, je m'étais tourné vers mes toiles, pensant que l'art serait une réponse suffisante à son mal-être. Mais l'art n'a jamais parlé pour lui. Il n'a jamais répondu à ce qu'il vivait. Et moi, au lieu de l'écouter, je l'ai laissé s'effondrer.
Alors, il est parti. Il m'a laissé.
Je savais qu'il me fuyait, qu'il m'évitait, mais je n'avais pas compris pourquoi. Je pensais qu'il faisait juste une pause, qu'il avait besoin d'espace. Peut-être que je croyais qu'il reviendrait de lui-même, comme si de rien n'était. Mais non, il est parti. Et le pire, c'est que je l'avais poussé à partir. Je lui avais demandé de partir. J'avais mis tout en œuvre pour le faire.
Je me souviens de cette conversation. De ces mots, aussi tranchants que de la glace.
— Je ne peux pas être ton sauveur, Aaron.
Je lui avais dit ça, comme si je pouvais ignorer tout ce qu'il traversait. Comme si j'avais le droit de lui fermer la porte au visage alors qu'il était déjà perdu.
Alors il est parti. Il n'a pas fait de bruit, mais il est parti. Et moi, je suis resté là, avec cette boule de culpabilité qui me rongeait.
Chaque soir, je me suis assis seul, les yeux rivés sur l'endroit où il aurait dû être. Je me suis dit que peut-être il reviendrait. Peut-être qu'un jour, il passerait la porte, les yeux fatigués mais vivants, et qu'on pourrait repartir de zéro. Mais non. Le temps s'écoulait, et il n'était toujours pas là. Et chaque nuit, je me disais que c'était de ma faute, que je l'avais perdu à force de ne pas avoir su être là pour lui.
Je suis tombé dans l'alcool pour oublier, pour ne pas sentir ce vide grandir en moi. Mais même l'alcool n'a pas pu effacer le fardeau. Parce qu'au fond, je savais que la bouteille ne m'offrirait jamais la réponse. Et plus je buvais, plus le poids de ma propre indifférence me frappait en plein cœur.
Je m'en voulais, bien sûr. Je m'en voulais de ne pas avoir vu à quel point il se noyait. Je m'en voulais d'avoir choisi de me réfugier dans mon monde, dans mes toiles, alors que lui était en train de sombrer dans un univers sans issue. Je m'en voulais d'avoir agi comme si j'étais le centre du monde, comme si mes préoccupations étaient plus importantes que les siennes.
Il avait besoin de moi. Il m'avait toujours dit qu'il comptait sur moi. Mais au lieu de ça, je l'avais laissé s'échapper. Je l'avais laissé partir dans une spirale où il ne pouvait plus revenir. Et ce n'était pas la première fois que je le laissais tomber. Ce n'était pas la première fois que je ne voyais pas qu'il souffrait.