Chapitre 3

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Dimanche 1 décembre 2024

L'eau lui comprimait les poumons. Elle cria, mais il lui sembla qu'aucun son ne sortait de sa gorge. Elle sentit comme des brûlures sur sa peau, son corps la démangeait. Elle ouvrit les yeux même si ça lui piquait. Elle étouffa un nouvel hurlement en se retrouvant face à une jeune femme à deux centimètres de son visage. Dans l'eau elle ne pouvait pas bien discerner les traits de l'inconnue, mais elle vit pourtant sa main s'approcher de son cou. La jeune fille voulut se reculer mais elle n'avait plus aucune force et se sentait incapable de bouger. La main de l'inconnue encercla son cou et elle sentit son corps parcouru de spasmes. Elle eut immédiatement très froid et ses yeux se révulsèrent. L'obscurité l'emporta.

***

Une pression sur sa poitrine ramena la jeune fille à la réalité. Elle recracha toute l'eau présente dans ses poumons et prit une énorme goulée d'air frais. Mais la peur, elle, restait là. La fille ne bougea plus d'un poil, par peur que le moindre de ses mouvements ne ramène la femme du lac. Elle retint sa respiration, tout en sentant son coeur s'accélérer. Elle essaya de sentir via ses mains et sa nuque où elle se trouvait, mais tout ce qu'elle sentait était de l'herbe. Encore et toujours de l'herbe. Elle ne se souvenait pourtant pas avoir commandé de la végétation pour Noël...

Une main vint attraper son menton avec douceur et le jeune fille trembla. Une nouvelle larme coula le long de sa joue glacée. Elle reprit un petit peu d'oxygène malgré son angoisse mais n'ouvrit toujours pas les yeux. C'est alors que la main qui lui retenait le menton vint attraper sa nuque pour relever sa tête et qu'elle entendit au creux de son oreille :

-Tu peux te réveiller Angelinette. 

Angelinette. Elle ne sut pas pourquoi mais ce surnom réveilla quelque chose en elle. Une confiance sortie de nulle part et un sentiment d'apaisement. Lentement elle releva ses paupières et se perdit dans la contemplation de deux yeux noirs fixés sur elle. Le jeune homme était agenouillé contre elle, sa main glissée dans ses cheveux trempés retenaient sa nuque et son nez touchait le sien.

-Est-ce que ça va ? demanda-t-il. 

-Comment tu m'as appelé ? murmura-t-elle. 

Le jeune homme tressaillit, déstabilisé par cette question. 

-Angelinette. Mais je ne sais pas pourquoi, c'est sorti tout seul, s'empressa-t-il d'ajouter. C'est ton prénom ?

Non, et pourtant cette appellation disait vaguement qu'elle chose à la fille. Elle secoua la tête négativement, les larmes menaçant encore de couler sans qu'elle ne sache pourquoi.

-Où sommes-nous ? demanda-t-elle d'une voix cassée.

Le jeune homme l'aida à se redresser avant de lui répondre et il s'assit en face d'elle, ses genoux touchant les siens, et sa main posée sur les siennes tremblantes. 

-On appelle cet endroit la forêt des souvenirs.

-On ? 

-Tu ne pensais quand même pas que j'étais la seule personne dans cette forêt ?

La jeune fille voulut lui rétorquer qu'elle ne pensait rien du tout et qu'elle se sentait juste perdue.

-Je ne sais pas grand chose, je suis arrivé il y a peu de temps, peut-être il y a quatre ou cinq jours. C'est difficile à dire.

-Comment ça ? s'impatienta la fille, agacée de ne rien comprendre. 

-Il ne fait jamais nuit ici. Quel jour sommes-nous ? Tu t'en souviens, non ?

Elle chassa rapidement son étonnement après qu'il soit passé du coq à l'âne aussi vite et répondit machinalement.

-Le 1 décembre.

Le jeune homme fronça les sourcils et elle se demanda si elle avait mal répondu.

-Je ne sais pas comment je m'en souviens, je le sais c'est tout, ajouta-t-elle.

-Ce n'est pas ça, c'est juste que... Je suis arrivé le 1 décembre aussi. Bon sang, on m'avait dit que le temps passait plus vite ici, mais je ne pensais quand même pas à ce point...

-Il y a d'autres personnes ici ? l'interrompit la fille. Tu n'as pas été très clair sur le sujet.

Le jeune homme lui fit un petit sourire et avant même qu'il ne prononce sa réponse elle se sentit soulagée.

-Nous sommes environ une trentaine. Notre camp se trouve à 20 minutes d'ici. 

-Tu sembles bien intégré pour quelqu'un qui est arrivé il y a quelques heures.

-Je te l'ai dit, le temps passe plus vite. Tu verras par toi même.

"Tu verras par toi même". Elle ne sut pourquoi mais cette phrase la paniqua. 

-Mais je vais rester ici ? Et je viens d'où ? Je ne me souviens de rien, ni de mon adresse, ni de mon prénom, ni de...

-Eh ! Calme-toi, ça va aller. 

Le jeune homme prit sa tête entre ses mains et la força à relever les yeux pour le regarder en face.

-On est tous passés par-là, ok ? C'est normal si tu ne te souviens de rien, tu as le droit de paniquer, moi aussi j'ai flippé. Mais tu n'es pas seule, d'accord ?

Elle hocha vivement la tête en ravalant une nouvelle fois ses larmes. Elle ne se souvenait pas être aussi sensible. Quoique elle ne se souvenait pas de grand chose.

-Pourquoi je me souviens de rien ? demanda-t-elle d'une petite voix. Enfin je n'arrive pas à me rappeler de détails personnels et pourtant je me souviens de choses tels que les pays, les langues, les animaux...

-C'est normal, répondit Eylé. Je vais t'expliquer, et même si ça te paraît absurde tu dois me laisser finir. Compris ?

La jeune fille acquiesça, ses yeux toujours plongés dans les siens.

-Très bien. Tu vois cette forêt ? l'interrogea-t-il en embrassant du regard le décors végétal qui les entourait. Ceux qui sont depuis longtemps, les tout premiers à être arrivés racontent que c'est la forêt qui nous vole nos souvenirs. Parfois elle nous en rend quelques uns, tu verras. Sauf un : notre prénom.

-Vous pensez tous que c'est la forêt ? dit-elle avec une once de moquerie. 

-Tu trouves une autre explication ? 

Non, pas vraiment, et elle n'avait d'autre choix que de le croire. Après tout il avait été là pour la sauver à de nombreuses reprises en à peine quelques heures voir même quelques minutes. Et puis elle avait toujours ce sentiment étrange qui pesait sur sa poitrine. Elle lui faisait aveuglément confiance. Et ça, depuis le premier regard.

La forêt des souvenirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant