Chapitre 9

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Anna

— Bienvenue dans mon antre, dis-je en allumant le garage.

Mon atelier se situe derrière la boutique. On y accède par une porte coupe-feu dans l'impasse, juste avant l'escalier qui mène à mon appartement.

Une bonne odeur de peinture et d'encre nous accueille, alors que nous pénétrons à l'intérieur, laissant la lourde porte se refermer dans notre dos. En général, les garçons ne viennent pas ici. Ils me disent ce qu'ils veulent, et je leur fais des croquis que je leur donne quand je les vois. C'est pour cela que voir Wolf ici, dans mon univers, déambulant en admirant mon bureau, me provoque une pointe d'appréhension.

Je reste à l'entrée, l'observant découvrir mon espace. Sa main se promène sur mon bureau, avant qu'il ne relève la tête vers le fond de la pièce. Ses yeux si uniques se tournent vers moi alors que mon souffle se coupe. Lentement, il se met en marche.

— C'est mon blouson ? me demande-t-il en s'arrêtant devant le cuir étendu.

J'acquiesce en silence, désireuse d'observer ses traits admirer son blouson.

— Incroyable, dit-il en levant la main.
— Non ! je m'exclame avant de poser une main sur ma bouche. Euh, il n'est peut-être pas encore sec.
— Ah oui, rigole-t-il, il ne vaudrait mieux pas que j'abîme déjà ton travail, mais Anna, c'est dingue. Il est comme neuf.

Je me poste à ses côtés.

— Je l'ai dégraissé avant de nourrir le cuir. Sa qualité est sublime, il s'est restauré presque tout seul, je n'ai pas eu grand-chose à faire.

Je peux presque voir la mélancolie envahir son regard, mélangée avec une pointe de gravité. C'est bouleversant.

— Il appartenait à mon père, me confie-t-il, j'y tiens beaucoup.

J'humidifie mes lèvres sèches.

— Ça se voit...

Wolf s'approche de moi, et sans l'ombre d'amusement, il me dit gravement :

— Merci, Anna.

J'acquiesce, soudain troublée par ses remerciements qu'il prononce d'une manière si profonde que ça me touche plus qu'habituellement. Je lui adresse un sourire en coin, avant de partir m'installer à mon bureau pour chercher des feuilles vierges. Le bruit de ses chaussures me fait courir des frissons sur la colonne. Il s'assoit sur la chaise que j'avais prévue pour lui alors que je cherche toujours mes feuilles.

Ah, enfin !

Mon téléphone vibre soudainement sur la table tandis que je me redresse. J'y jette un coup d'œil et constate que c'est ma mère. En organisant mon bureau, je me décide à décrocher.

— Salut, maman. Tu es sur haut-parleur et je ne suis pas seule, alors ne m'embarrasse pas, s'il te plaît, je débite en vitesse avant qu'elle ne parle.

J'adore ma mère, mais je la connais, et... mieux vaut la prévenir.

— Bonjour, ma chérie, je suis contente de t'avoir au téléphone aussi, me répond-elle avec ironie.

Je lève les yeux au ciel et aperçois Wolf cacher un sourire.

— Moi aussi, maman. Comment vas-tu depuis hier ? j'appuie mes propos.
— Où est le mal ? Tu me manques, ma puce.

Ma mère sait toujours attraper mes points sensibles pour que je me retrouve toute molle.

— Vous aussi, maman, je me radoucis avec un sourire.

Un bruit sourd provenant de Wolf m'interpelle. Avec précipitation et un sourire gêné, il récupère le pot qui vient de tomber et s'excuse silencieusement.

— Ce n'est rien, je le rassure en posant une main sur son avant-bras.
— Oh, mais tu ne me présentes pas ton ami, Anna ?

Ce que je redoutais se produit. Ma mère adore ma vie, et surtout, de s'y mêler.

— Papa ? je l'appelle, sachant pertinemment qu'il n'est pas loin.
— Que veux-tu que j'y fasse, ma fille ? résonne la voix grave de mon père. Tu connais ta mère, présente-lui qu'on en finisse.

Ah, mon père, toujours là pour me protéger !

Je ricane quand je l'entends pousser une légère exclamation d'indignation. Ma mère a dû le réprimander silencieusement, mais au fond d'elle, elle adore qu'on la charrie. Wolf ne dit pas un mot quand je pivote dans sa direction. L'index sur sa tempe, il écoute notre conversation avec une expression que je n'arrive pas à déchiffrer.

— Présente-toi avant qu'elle nous fasse une attaque, je l'encourage.

Semblant sortir de ses pensées, il me regarde et cligne des yeux avant de pouffer de rire.

— Bonjour, je m'appelle Wolf, enchanté de vous rencontrer, madame, se présente-t-il avec amusement en se redressant.
— Clarisse, mon beau, lui annonce ma mère.

Je me frappe le front au petit nom qu'elle lui donne. Wolf m'enlève la main avec amusement.

— Je note, Clarisse.

Je le supplie du regard de ne pas rentrer dans son jeu.

— Enchantée aussi, Wolf. Alors quel âge as-tu ?

Avec effarement, je vois mon téléphone clignoter d'une demande de vidéo provenant de ma mère. Je glapis en attrapant l'appareil.

— Ah non, maman ! Papa ! je geins de panique.

L'éclat de rire de mon père m'informe qu'il ne me sera d'aucune aide. Il adore les bêtises de sa femme, et quand c'est pour m'embêter, ils sont d'une complicité irréprochable.

— Allez, Anna, j'ai envie de te voir, voyons !
— Je raccroche, et vous déteste cordialement, je déclare avec une voix haut perchée en appuyant sur le gros bouton rouge.

Une fois la connexion coupée, je lâche mon téléphone sur la table et me cache dans mes mains. Instantanément, Wolf part en fou rire en faisant trembler sa chaise.

— Oh, j'ai honte, gémis-je.

Toujours en rigolant, Wolf passe ses bras autour de moi.

— Mais non, Anna, s'exprime-t-il entre deux rires, j'adore ! Tes parents sont géniaux.

Je gémis de nouveau, ce qui fait redoubler son rire. La tête sur mon épaule, son corps est pris de soubresauts, ce qui me tire un rire nerveux. Au bout de quelques secondes, il me relâche et inspire en se redressant.

— Ah, j'avais besoin de ça.

J'ose un œil entre mes mains.

— Que je me ridiculise ? je lui demande dans une plainte.
— Tu ne t'es pas ridiculisée, Anna. Je trouve ça mignon, tu aurais dû activer la vidéo, ta mère aurait été sous le charme avec moi, m'embête-t-il en jouant des sourcils.

Je pouffe et secoue la tête en passant mes mains fraîches sur mon visage.

— Bon, au travail, je me reprends.

Alors que j'attrape mes feuilles en main, Wolf se penche vers moi.

— Tes parents ont l'air géniaux.
— Ce sont les meilleurs. Légèrement envahissants, mais je ne les échangerais contre rien au monde, j'affirme d'une traite sans hésitation.

Il hoche la tête sans pour autant se détourner. Je sais que je devrais retourner à mes dessins, mais je n'en ai pas vraiment envie, surtout quand nos regards se confrontent, comme en cet instant. Je me remémore notre matinée au café et prends conscience que cela faisait longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi à l'aise avec un homme. Il n'y a jamais de blanc entre nous, les discussions sont fluides.

Et j'aime beaucoup.

Après un temps que je ne saurais déterminer, il inspire et se penche vers la table.

— En route, Anna, montre-moi tes talents, conclut-il avec un sourire contagieux.
— C'est parti, je lui réponds avant d'afficher un sourire malicieux, raconte-moi tous tes vilains secrets, Le Loup.

The Sliders, Tome 3 [ EN COURS DE PUBLICATION ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant