Ton regard sur moi, ça me laisse sans voix

Chapitre 21 : T'as encore le choix Héléna.

Les jours passent et emportent avec eux les tensions du prime précédent, mais laissent derrière eux une atmosphère étrangement suspendue. Le château est plus calme, mais une nouvelle ambiance s’installe avec l’annonce de la semaine des duos. Chacun doit choisir un partenaire, et les alliances se forment rapidement. 

Héléna n’a pas hésité une seule seconde avant de se tourner vers Marie-Maud. Chanter avec elle, c’est une évidence, un refuge. Elles se comprennent sans même avoir besoin de parler, et après la peur du dernier prime, Héléna a envie de s’ancrer dans quelque chose de rassurant. Elles n’ont pas encore choisi leur chanson, mais l’essentiel est ailleurs : elles sont ensemble, et c’est tout ce qui compte. 

Pierre, lui, s’est retrouvé avec Candice. Ou plutôt, c’est Candice qui a choisi Pierre.  Avant même qu’il n’ait eu le temps de réfléchir, elle était venue vers lui, le sourire éclatant, et les yeux qui brillaient d’enthousiasme.

— On fait équipe, toi et moi ! 

Il aurait pu dire non. Peut-être aurait-il dû. Mais elle l’avait pris de court, et refuser aurait semblé déplacé, presque cruel. Et on sait tous qu'il est trop gentil, donc ça lui aurait fait de la peine de le faire. Alors il avait hoché la tête, sans grande conviction. 

— D’accord, pourquoi pas. 

Un choix banal en apparence, mais qui ne cesse de le troubler maintenant que la semaine a commencé. Parce qu’au fond, il sait avec qui il aurait voulu chanter. Et ce n’est pas Candice. 

Dès la première répétition, il réalise à quel point elle est investie. Candice est solaire, dynamique, toujours dans l’instant. Elle a une énergie communicative, une voix claire et puissante qui se marie étonnamment bien avec la sienne. Lorsqu’ils chantent ensemble, leurs timbres s’entrelacent avec une fluidité naturelle. 

— Tu vois ? Nos voix se marient bien ensemble, non ?  Elle lui lance un regard complice, visiblement satisfaite de leur harmonie. 

— Ouais, admet-il en esquissant un sourire. 
Elle a raison. Leur duo fonctionne. Mais malgré tout, quelque chose manque. Ou plutôt, quelqu’un. 

Par réflexe, son regard cherche Héléna. Elle est assise un peu plus loin, avec Marie-Maud. Elles discutent à voix basse, mais elle ne semble pas concentrée sur son échange. Son regard dérive sans cesse dans leur direction, même si elle fait semblant de ne pas les voir. Pierre le sent, et ça le dérange plus qu’il ne voudrait l’admettre. 

Candice ne semble pas s’en apercevoir. Elle rit souvent, pose parfois une main légère sur son bras pour souligner une remarque, ou lui donne une tape amicale sur l’épaule quand il rate une note. Elle est tactile, naturelle, et ça ne lui a jamais posé problème. Jusqu’à maintenant. Parce qu’il sait que quelqu’un d’autre regarde. Et ce quelqu’un d’autre détourne systématiquement les yeux. 

Héléna essaie pourtant. Elle essaie de ne pas les voir, de se focaliser sur Marie-Maud, sur leurs répétitions, sur le choix de leur chanson. Mais à chaque éclat de rire qui venait de l’autre côté de la salle, à chaque regard échangé entre Pierre et Candice, elle sent une boule se former dans sa poitrine. Elle n’a pas le droit d’être jalouse.  Elle n’a pas le droit d’être blessée. Parce qu’elle est celle qui a pris de la distance. C’est elle qui s’est éloignée. Et elle sait pourquoi. Elle n’avait pas le choix. Lucas regarde les quotidiennes et il n’a pas aimé ce qu’il a vu la semaine dernière. Alors elle a tracé une ligne. Une frontière invisible entre elle et Pierre. Un mur qu’elle s’oblige à ne pas franchir. Mais ce mur, il est horrible, parce que si elle ne peut pas le traverser, elle est forcée de regarder ce qu’il y a de l’autre côté.