Chapitre 48

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Je sens les muscles de Noah tressaillir lorsque je prononce « monstre ». Malheureusement, même ce terme me paraît bien faible par rapport aux horreurs que nous a fait vivre cet homme au quotidien. Je cherche mes mots en prenant de profondes inspirations. Je ne veux pas tout lui déballer, pourtant j'ai l'impression que je ne peux plus m'arrêter.

— Qu'entends-tu par là, ma chérie ? Quelles sont les horreurs que t'a fait subir ce type ?

— Il s'agit plutôt des horreurs qu'il nous a faites, à Maman et moi. Je ne sais pas par où commencer ni ce que je veux vraiment te raconter, Noah... C'est la première fois...

— Tu n'as qu'à laisser affleurer les mots comme ils te viennent. Tu n'es pas obligée de rentrer dans les détails, juste laisse filer, on verra bien, me dit-il en resserrant son étreinte et m'embrassant le sommet du crâne.

— Les premiers mois, tout se passait plutôt bien. Franck ne me plaisait pas, mais je crois que je n'aurais aimé aucun autre homme dans la vie de Maman, après Papa. Je n'étais qu'une petite fille qui voulait que son Papa redescende du Ciel et que nous reformions notre heureuse petite famille, tu vois ?

— Je comprends, ma chérie, et je crois que ce sentiment était tout à fait légitime.

— Je sais, c'est ce que me dit aussi le Dr R. Néanmoins, Franck avait quelque chose dans son regard qui me glaçait le sang sans que je puisse me l'expliquer. Je ne le sentais pas, c'était viscéral.

— Il y a des personnes qui ne nous inspirent pas confiance, sans aucune raison objective, mais, généralement, notre première intuition est souvent la bonne.

— C'est tout à fait ça. Depuis, je ne me fie plus qu'à mon instinct lorsque je rencontre de nouvelles personnes.

— Heureusement que ton instinct ne t'a pas soufflé que j'étais un psychopathe, dit-il pour alléger l'atmosphère.

Je souris à sa dernière remarque et embrasse son torse. Noah continue de me caresser les cheveux.

— Et ton frère ? Comment ça se passait, entre lui et ton beau-père ?

— Mattéo ? C'était sa dernière année de lycée. À part ses potes, les nanas et son bac, rien ne comptait à ses yeux. Il n'était pas souvent à la maison, toujours en train de traîner à droite, à gauche ou à réviser. Tant qu'il vivait avec nous, Franck était juste un type que je ne sentais pas.

— C'est le départ de Mattéo qui l'a fait changer de comportement ?

— Non, il a perdu son boulot au mois de septembre. Mattéo était parti à Marseille ; son éloignement était un concours de circonstances. Comme il était au chômage, Franck passait tout son temps à la maison ou à traîner dans les bars, rentrant complètement ivre et empestant le tabac.

Au souvenir de son image et son odeur, un violent frisson de dégoût s'empare de mon corps. Les muscles de Noah se contractent quand mon corps tremble ; sa main s'arrête dans mes cheveux.

— Tu n'es pas obligée de continuer, ma chérie. Je ne veux pas te faire revivre ces moments, si c'est trop douloureux pour toi.

Ça sera toujours douloureux. Si je ne me fais pas violence, je n'arriverai jamais à me confier. Je reprends une longue inspiration et je continue.

— Au début, il ne s'en prenait qu'à Maman. Il l'a rabaissait sans cesse, lui parlait mal, il trouvait toujours un truc à redire sur le ménage, le repas. Maman était une jeune femme souriante, douce et aimante ; elle ne méritait pas qu'il la traite comme un chien... Quand Mattéo est revenu à la maison pour les vacances de la Toussaint, Franck passait son temps dans les bars. Quand il nous faisait l'honneur d'être avec nous, il se comportait comme à l'époque où Mattéo vivait ici.

— Ton frère ne s'est donc aperçu de rien ?

— Comment le pouvait-il ? Tout était pareil à la maison...

— Du moins, c'est ce que vous lui laissiez voir.

J'ai besoin de changer de position, de parler à Noah en le regardant dans les yeux. Je me redresse et m'assois dans le lit. Il m'imite et me regarde d'un air soucieux. Je prends sa main dans la mienne et la presse doucement, en lui adressant un faible sourire. Je dois continuer mon histoire.

— À la fin des vacances, Mattéo est reparti à la fac. Franck a recommencé à être méchant avec Maman et, un jour, alors qu'ils se disputaient dans la cuisine, il lui a lancé un coup de poing.

Noah jure entre ses dents, sa main serre fort la mienne, ses muscles tressaillent de colère. Je ne le laisse pas parler et continue.

— Je me suis interposée. Je lui ai sauté dessus en hurlant de ne pas la toucher. Je ne pouvais pas le laisser lui faire du mal.

Noah essuie une larme sur ma joue que je n'avais même pas sentie s'échapper. À chaque fois que je repense à tout ça, je ne suis plus Cassandra, âgée de vingt-deux ans... Je redeviens la petite Cassandra de dix ans, complètement terrorisée.

— Il n'a pas aimé que je m'en mêle. Il m'a attrapée par les cheveux et m'a jetée au sol. Maman a essayé de s'interposer à son tour... Ce jour-là, notre vie a définitivement basculé dans la violence...

Je lis l'horreur de mes révélations dans les yeux de Noah. Je savais que cela allait changer quelque chose dans sa manière de me regarder ! Comme s'il lisait dans mes pensées, il caresse mon visage du bout des doigts et son sourire malicieux réapparaît légèrement au coin de ses lèvres.

— Merci, mon ange.

— De quoi ? dis-je, étonnée.

— De me faire suffisamment confiance pour me laisser entrer en toi. Cela représente beaucoup pour moi.

Je lui souris. Il s'approche de moi et m'embrasse tendrement, puis il s'écarte et se laisse glisser dans le lit en me faisant signe d'en faire autant. Je me tourne sur le côté et Noah me prend dans ses bras, nos corps s'imbriquant parfaitement. Il passe son bras autour de ma taille et prend ma main dans la sienne en entrelaçant nos doigts.

Je sens son souffle sur ma nuque. Son odeur m'ennivre. Je me sens épuisée et soulagée d'avoir réussi à m'ouvrir sur mon passé. La respiration de Noah commence à ralentir, je cale la mienne sur ses soupirs. Je sens le sommeil me gagner peu à peu et, lorsque je commence à sombrer, j'entends sa voix dans un murmure.

— Dors paisiblement, mon ange. Cette nuit, je veille sur toi...

Un nouveau départOù les histoires vivent. Découvrez maintenant