"Mais je n'efface les pas de mes pères ni des pères de
mes pères dans ma tête ouverte à vents et pillards
du Nord." L. S. Senghor, Ethiopie, A l'appel de la race de Saba, in Hosties noires.
À Alioune Badara Sene
Et s'il était temps, maintenant, de dérouler ta parole ô
Poète de Ndayane !
Ta parole obsédante du chant;
Le thème lancinant du poème,
De dire l'âme noire et la blessure indélébile, qui nous habitent
Par-delà les âges et les océans;
Voici, pour toi, ce chant de la mémoire,
Que m'accompagnent le rythme tumultueux du fleuve Congo
Et le souffle de l'harmattan,
Et que s'élève la complainte du blues et du jazz.
Oui ! C'est encore la mer qu'il me faut dire,
Non point en sa beauté divine, mais en sa mortalité même,
La mer carnivore, qui a bu le sang de mes nobles aïeux,
par ce chemin sans retour,
A la porte de Gorée...
J'écoute, au plus profond de moi, les cris de mes
fiers nègres dans les négriers,
Le bruit des chaînes lourdes de l'esclavage et les pleurs,
Leurs plaintes et gémissements de tristesse, dans les flots rouges,
Ah ! me souvenir, me souvenir de Loango, comme de Gorée,
Qui nous racontent notre histoire douloureuse,
Et tous ces vestiges, témoins de ce noir passé;
Me souvenir des empereurs et rois, des princes et princesses,
des griots et des guerriers, des pêcheurs et des chasseurs,
des cultivateurs, mais de mes artisans et artistes...
De ces belles créatures d'ébène, qui ont été traitées telles des choses,
Et même les animaux avaient plus de valeur que mes fiers nègres,
Ah ! Mon cœur saigne de bile !
Mon Afrique crucifiée, Mon Afrique meurtrie et déshonorée,
Mais mon Afrique debout et digne,
Toujours renaissante et éternelle, tel le Sphinx légendaire,
Et tes glorieux Fils, orgueil de la race de la palme, ont dit
ton humanité et ta grandeur, Berceau du monde.
Voici notre noblesse nouvelle, de Nègres nouveaux, notre
humanisme nouveau, à la renaissance du monde en marche :
Ames pures, cœurs purs d'amour, de pardon et
de paix, héritage de la sagesse ancestrale;
Construire le monde meilleur de demain sur les cendres d'hier,
Nos mains tendus à nos frères, le Blanc et l'Arabe,
Nos bras ouverts à tous les vents du monde,
Que sous l'arbre à palabres, autour du feu de nuit,
Nous partagions la Kola de l'amitié
Et la boisson de la fraternité,
Nous battions le tam-tam avec nos frères du Vent du Nord.
Je vois, dans les jours à venir, le Baobab
Fleurir dans le désert, le Sahara recouvert de verts pâturages,
La Terre mère, Soleil de nos rêves.