Ses passages se font plus rares et j'en ai des meurtrissures. Va-t-elle disparaître aussi vite qu'elle est apparue? Pourtant, j'aimais la voir se transformer, la voir muer de la jeune fille à la jeune femme. Ses passages se font plus rares, plus brefs, et cependant, restent suspendus, parenthèses irréelles, bourrasques intemporelles. Elle marche, elle va toujours de l'avant.
Sont-ce des larmes que j'ai vues? Dernièrement, elle n'a pas l'air heureuse. Son teint est plus pâle, ses cheveux ne font plus leurs boucles lourdes aux reflets insolents. Sa démarche paraît fatiguée. Je me surprends à m'inquiéter de son chagrin, de cet abattement mystérieux. Mon intuition me souffle qu'un homme soit derrière tout ça. J'en suis même certain. C'est une femme sensible mais seuls les hommes peuvent rougir ses yeux. Je sais que lorsqu'elle se donne, c'est sans retenue. Je la soupçonne de s'être encore abandonnée quitte à s'oublier. Je la sais prompte au sacrifice. Et le langage de son corps aujourd'hui ne ment pas. Sa tristesse semble exhaler un parfum discret de déception. Est-elle mal aimée? Elle donne la sensation de s'être abîmée dans les bras d'un homme. Je la sais si fragile. Elle est émouvante dans sa façon de vivre ses contrariétés comme autant de tragédies personnelle. Ridicule aussi, quelques fois. Mais aujourd'hui, cela semble différent. Peut-être est-ce le temps gris et pluvieux qui donne à son passage un caractère lugubre. Peut-être est-ce une vue de mon esprit? Aujourd'hui, elle marche voûtée, sans fierté et elle semble réfléchir à une solution pour arranger les choses entre elle et Lui. Je la connais. Elle ne rendra pas les armes, elle se battra jusqu'au bout si elle a la conviction que ses sentiments sont réels. Mais je la sais également dévorée par la culpabilité. Elle est ainsi. Lorsque les choses vont mal, elle se jette dans la faute et la remise en question. Ses pleurs redoublent et ses espoirs s'amenuisent. Si tout est de sa faute, comment réparer? Puisque ça vient d'elle et de son fichu caractère, comment regagner la confiance de l'autre? Je la vois marcher, ressasser, je vois ses lèvres bouger comme si elle repassait le fil d'une conversation qui a mal tourné. Et si j'avais dit ça? Et si j'avais plutôt fait ça? En serions-nous là? Son visage est un livre douloureusement ouvert. Ne se rend-elle pas compte que tout le monde peut lire sa peine?
J'ai l'intime sentiment qu'elle est incapable de se protéger. Elle montre ses faiblesses comme des étendards. Et ce n'est jamais bon de se livrer ainsi. Je voudrais qu'elle sache se forger une carapace et je regrette de n'être qu'un spectateur passif dans le déroulement de ses pas. Si je pouvais seulement aller la voir et la prendre dans mes bras. Je collerais son visage contre mon épaule et passerais ma main dans ses cheveux flous. Je lui dirais "calme-toi, petite fille, ça va aller" et elle se sentirai protégée. Sans un mot, elle se dégagerai et je lirais dans ses yeux la reconnaissance d'avoir su deviner ses besoins. Elle repartirai, douce et évanescente, les épaules plus droites et la démarche plus assurée. Seulement je n'en ferais rien. Elle devra apprendre à se passer de bras protecteurs car elle n'est plus une petite fille. Et la société n'accepte pas que les adultes veuillent s'attarder dans l'enfance.
La voilà qui s'éloigne, aussi triste qu'un dimanche soir, les pans de son manteau noir ouverts et claquant dans le vent, les pas rythmés par le bruit sec de ses hauts talons sur le bitume, les boucles lourdes soulevées par la bourrasque. Elle disparaît au coin de la rue, et longtemps après, le battement de ses pas résonne dans mon cœur.
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Elle et mon attente
RomanceC'est une rencontre. Ou des retrouvailles. Ou un fantasme. Mais surtout, c'est Elle. Certains passages sont un peu osés, vous êtes prévenus.