Le jardin

6 0 0
                                    


Tandis que je fais le tour des chambres et que peu à peu me reviennent certains moments de la soirée, je réalise que Lauhys a disparu peu après que j'ai commencé à danser avec l'autre fille. En me penchant à une fenêtre qui donne sur un jardinet côté rue, je la vois enfin. Mais elle n'est pas seule.

Elle a passé un large pull en laine sur l'ensemble de la veille. Elle est assise sur un banc entouré d'arbustes fous. Elle brille encore de mille feux. Il est à côté d'elle, la main négligemment posée sur la sienne. Ils se regardent sans rien dire. Puis il se penche vers elle et l'embrasse d'abord très tendrement puis de plus en plus passionnément. Elle a mis ses mains sur son torse comme pour le repousser, mais il la fait venir sur ses genoux et la tient serrée contre lui. Ses mains la parcourent avec empressement et disparaissent quelques fois sous le pull et sous sa jupe qu'il soulève comme à mon attention. Je les observe le souffle court, voyeur malgré moi, captivé par la sensualité sauvage qui se dégage de leur baiser. Je suis fasciné par le dessin fugace de ses fesses et de sa main qui glisse sous la dentelle de ses sous-vêtements. Deux amants illicites qui se pensent seuls au monde, à l'abri des regards derrière un rideau de verdure qu'ils croient inviolable.

Il lui a enlevé son pull et déboutonné sa blouse. Il a plongé sa tête entre ses seins. Il la touche comme s'il voulait ne manquer aucune parcelle de sa peau. Il semble avoir fait sauter les barrières qui l'avaient retenu toute la soirée de la veille. Il ne reste plus grand-chose de l'homme hautain et froid qui la dévisageait de loin. Bientôt il l'allonge sur le banc et se penche au-dessus d'elle, tandis que ses lèvres ne quittent pas les siennes, il lui caresse le sexe, enfonçant ses doigts en elle avant de lui retirer sa culotte. L'espace d'un instant j'aperçois son intimité que je devine brûlante. Je suis incapable de bouger, d'arrêter de les regarder. Je les trouve beaux. A mon corps défendant, je les trouve évidents.

Il y a une telle beauté dans l'abandon de Lauhys, dans ses yeux fermés, son demi-sourire pendant qu'il la caresse, troublé par le plaisir qui monte, à mesure qu'il trouve les bons gestes et les appuie. Il n'a d'yeux que pour elle. Il s'applique à faire arquer son corps, subjugué par la force qui se dégage de son amante. Il n'a d'yeux que pour elle. Je vois ses lèvres bouger dans un sourire tandis que des vagues électriques parcourent sa poitrine encore scintillante. Entre eux, le pouvoir est une onde sensuelle qui passe d'un corps à l'autre. Il a le dessus lorsqu'elle jouit sous ses doigts, elle fait de lui son esclave lorsqu'impérieuse, elle lui ordonne de continuer.

Un bruit dans la rue. L'envol d'un oiseau. L'instant fragile se brise et s'arrête aussi soudainement qu'il était arrivé. Il se relève et s'éloigne de quelques pas, un peu brusquement, comme si soudainement le contact de leur peau l'avait brûlé. Elle demeure allongée sur le banc, les yeux dans le vide, un masque de pierre posé sur le visage. A présent il évite de la regarder, il s'est adossé à un arbre et semble remonter, brique après brique, le mur dont il se plaisait à s'entourer la veille. Elle s'est assise, comme au ralenti. Elle ramasse ses affaires. Un parfum de tristesse résignée enveloppe chacun de ses gestes tandis qu'elle passe une manche, puis l'autre, de son pull, laine épaisse qui cache les paillettes, la joie et le plaisir.

Je le croise dans le couloir. Il me toise avec indifférence et marche si vite qu'il semble fuir. Dehors, Lauhys s'est allumé une clope sur laquelle elle tire d'un air rêveur. Impossible de lire une quelconque émotion sur son visage. Il ne reste plus rien de la déesse brûlante de tout à l'heure. Elle est éteinte, plongée en elle-même. Peut-être cherche-t-elle à rattraper les quelques fils évanescents de son extase succincte. Ou peut-être qu'elle aussi, remonte ses barrières. Je m'assois à ses côtés sans rien dire.

« Tu vois, je suis pas mystérieuse, je suis un putain de cliché. »

Elle a dit ça dans un souffle ponctué d'un petit rire blasé.

« Ça fait longtemps ? Votre manège ? »

Elle hoche la tête. Elle m'explique qu'ils se connaissent depuis plusieurs années. Qu'il se sont toujours plus ou moins tournés autour. C'était un jeu au début. Une blague entre eux. Il était marié depuis quelques mois lorsqu'elle avait commencé à fréquenter leur cercle et à aller à leurs folles soirées. Une nuit, passablement ivre, il lui avait dit qu'il aurait été plus courtois de sa part de débouler dans sa vie avant son mariage. Ils avaient rigolé et continué sur leur lancée. Pendant quelques temps, à chaque fois qu'ils se voyaient, ils employaient ces tournures de phrases ampoulées et se servaient de leurs bons mots pour se faire passer des messages de plus en plus ambigus. Le jeu avait duré une bonne année. Et un soir, c'était prévisible, ils avaient franchi la limite sans même s'en apercevoir.

« J'avais posé ma tête sur ses genoux. C'était un after, on avait tellement bu, tu sais. On était dans le petit salon, et on parlait. Ça faisait des heures qu'on parlait, de tout, de rien. Et il avait posé sa main sur ma tête, il me caressait les cheveux. Puis le visage. A un moment on n'a plus rien dit. Je ne sais plus trop ce qu'il se passait autour, si tout le monde parlait, si on était seuls...je sais plus. J'avais mes yeux dans les siens, et c'est tout. Ses yeux, mes yeux, sa main sur ma joue, rien d'autre. Puis il a passé son pouce sur mes lèvres, sans cesser de me regarder. Ça paraît con, mais je crois que c'est un des moments les plus érotiques que j'ai jamais vécu. A un moment, j'ai attrapé son pouce dans ma bouche et je l'ai lentement sucé, sans le quitter des yeux. Je sais pas pourquoi j'ai fait ça. Un peu par défi. Un peu par envie. Je lui ai rendu son doigt en souriant. C'est nul, mais je me sentais super fière, un brin garce, tu sais. »

Je sais.

« Alors il a levé les genoux pour remonter ma tête vers son visage et il m'a dit qu'il mourrait d'envie de m'embrasser. Je pensais plus à sa femme, je pensais plus aux autres qui pouvaient potentiellement nous surprendre, encore que tout le monde était bien perché...Bref. Je lui ai dit de le faire. Mais il a remis ses genoux normalement et s'est mis à parler avec d'autres gens. En gardant sa main sur ma tête. Il a fini par la descendre vers ma gorge pour la serrer un peu. Enflure. J'étais en feu. J'ai fini par me lever et lui faire signe de me rejoindre dans la salle de bain. Il est venu. On s'est jetés l'un sur l'autre. C'était un baiser de cinéma. C'était le baiser qui venait conclure plusieurs mois de flirt, d'allusions, de gestes posés là l'air de rien, de frustration... Ça aurait pu aller plus loin qu'un simple baiser, mais à chaque fois il fait le même coup. Quand ça devient trop intense, il reprend son self-control et il s'éloigne en courant. »

J'ai vu.

Elle tapote son reste de cendre avant d'écraser son mégot par terre.

« Un cliché. Tu vois. Rien d'autre. »

Elle se lève avec souplesse, secoue sa jupe. Un quart de seconde, je surprends ses yeux fermés, sa lèvre inférieure mordue, sa poitrine qui se soulève dans un soupir.

« On rentre, non ? Ou tu veux rester ? La brunette s'appelle Cerise...»

Elle m'a dit ça avec un clin d'œil amusé. La voix ronronnante et chaude. Une fossette au coin des lèvres qui me pétille et attrape mon sourire spontanément.

« On rentre... Lauhys...il est nul ton surnom. Il veut rien dire, il ressemble à ton prénom mais en 'jme la pête' »

J'ai répondu ça en bougonnant. Elle me regarde en feignant une tristesse infinie et déploie, enfin, son rire de gorge.

« Je me la pète tellement ! Surtout ici ! C'est un ego-boost cette baraque... »

Elle attrape mon bras et dépose une bise à cet endroit mesquin, pas tout à fait la joue, pas tout à fait la bouche. Elle est devenue beaucoup trop experte à ce petit jeu. La jeune fille de mon passé n'était pas aussi espiègle. 

Elle et mon attenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant