Le geste

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L'autre jour, au restaurant, si je ne le savais pas, j'ai eu la confirmation qu'elle et moi étions bel et bien engagés dans un jeu de séduction. Qu'il m'a semblé loin le temps des errances à guetter son passage pour m'enivrer l'espace d'une apparition de son sillage unique. sa vision déclenche toujours en moi des passions inavouables. Les soupçonne-t-elle ? Est-elle consciente de son pouvoir lorsqu'elle arrange ses boucles, qu'elle dépose sur ses paupières une ombre mordorée et qu'elle ferme jusqu'au dernier les boutons de son éternelle chemise en soie ? Sait-elle seulement ce qui passe dans mon regard lorsqu'il rencontre son sourire naïf ?

Elle s'est assise entre un autre et moi. Elle se débrouille pour me fuir en se tournant délibérément vers les autres convives. Elle rit un peu trop fort aux blagues du garçon d'en face et papillonne des cils en ne m'offrant que son profil, découpé par la lumière de la bougie. Les attentions qu'elle m'accorde sont rares mais me suffisent pour comprendre qu'elle joue à me défier. Elle alimente la conversation et je vois aux attitudes des autres qu'ils sont sous son charme. Elle sait quelles cordes tirer pour être tour à tour garce et mignonne. Elle sait attendrir. Elle sait flatter. Et surtout, elle sait que mes yeux sont sur elle, qu'ils brûlent sa peau et que je l'observe pendant que les autres se délectent de sa présence légère et pétillante.

Je décide de riposter, d'attaquer fort, et mon geste la surprends lorsque je pose une main sur ses cheveux et sa nuque et que je laisse s'attarder le bout de mes doigts sur la naissance de son épaule. L'espace d'un instant, il n'y a plus que la rivière de ses cheveux sous mes phalanges, sa tête tournée vers moi dans une expression qu'elle tente de garder neutre et la bougie qui l'éclaire en demi-teinte. Quel est-il, ce geste ? Est-ce une accolade de réconfort, la caresse d'un amant ou la main d'un maître sur sa soumise ? Moi-même je n'en suis pas certain au moment de l'accomplir et, fugacement, j'en viens à regretter mon audace. Comment fait-elle pour retourner le trouble vers celui qui comptait le distiller ? Il y a ses cheveux qui se trouvent avoir la douceur de la soie, et qu'à travers de leur masse bouclée, se diffuse la chaleur de sa peau. Il y a que dans ce geste, il y a notre passé, nos étreintes et nos nuits.

A l'époque, la caresse se transformait en empoignade, et je tirais sa tête en arrière pour mieux la cambrer. elle fermait les yeux, la gorge offerte, la chute de reins qui venait buter contre mon corps. A-t-elle cette vision, elle aussi, lorsque des années plus tard, je pose ma main sur elle, dans un restaurant, entourés par les silhouettes de nos convives ? A l'époque, ce geste était celui d'un amoureux pour la femme qui marchait à ses côtés afin de l'entraîner dans la même direction que lui. Est-ce qu'elle nous voit, elle aussi, côte à côte et complices ? Aujourd'hui, elle est lointaine et peut-être que je ne cherche qu'à la ramener à moi. Elle me sourit sans que je sache si ce sourire est forcé. Elle persiste dans sa désinvolture. Et finit par lâcher un « Laisse-moi tranquille » étouffé dans un rire espiègle.

Je ne sais plus lire sur sa figure le désir ou le rejet.

Je ne sais plus si je la veux ou si je préfère l'envisager.

Je ne sais plus.



Elle et mon attenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant