J'ouvre les yeux avec l'impression diffuse d'émerger d'un nuage. La tête lourde et engourdie je mets un instant avant de comprendre où je me trouve. Les souvenirs de la soirée de la veille semblent dater de plusieurs années, tant ils sont flous et presque impossibles à retenir. J'ai des bribes de musique enveloppées d'éclairs de lumières multicolores. Des vapeurs d'alcool emmêlées de rires et de danse dans un chaos de sensations. Et au milieu de tout cela, son visage fixe, ses lèvres entrouvertes pour laisser passer les paroles au ralenti d'un message qui ne me revient pas.
La fête. La maison de sauvages. La fumée. L'ivresse. Je me sens chiffonné tandis que je passe une main dans mes cheveux en baillant. A côté de moi, il y a la forme d'un corps féminin endormi, un bras passé autour de ma taille. Dans mes tempes, le sang bat de plus en plus vite lorsque je réalise qu'elle est nue et moi aussi. Je suis perdu dans un océan de coussins et de couvertures jetées là, sur un matelas posé à même le sol d'une mezzanine plongée dans une demie-obscurité. Dans l'air flottent des relents de tabac froid, de sueur et de bière renversée. Très doucement, je me dégage du bras de la brunette auquel il appartient, elle ne bronche pas. Dans un bruissement de couvertures, elle se retourne et, le sommeil à peine troublé, se rendort pesamment. En boule dans un coin, je retrouve mon caleçon, ma chemise et mon jean que j'enfile aussi silencieusement que possible.
Un étage plus bas, j'entends des bruits étouffés. En passant devant l'une des chambres, j'aperçois un petit groupe de fêtards attardés qui discutent à voix basse en se passant un joint. Parmi eux, j'ai l'impression d'en reconnaître quelques-uns sans certitude. Je capte mon reflet dans le miroir de la salle de bain où je me suis arrêté pour passer de l'eau fraîche sur mes yeux. J'ai les cheveux en bordel, un début de barbe et l'air hagard typique d'un lendemain difficile. Impossible de déterminer clairement l'heure, mais il semble que l'on soit en milieu d'après-midi. Une fille en petite tenue et sa copine sortent en rigolant d'un salon d'où s'échappe de la musique entraînante. Dans l'entrebâillement de la porte, je peux voir encore plusieurs personnes danser. Je leur demande si elles savent où se trouve...je fais un effort pour me rappeler du pseudo qu'Elle utilise et que je ne connaissais pas avant-hier soir. Lauhys. La plus dévêtue des filles me désigne les escaliers qui mènent au rez-de chaussé, sans certitude.
Tandis que je descends les marches, j'essaye de rassembler mes souvenirs sans jamais pouvoir me défaire de l'impression terrible d'avoir manqué un détail crucial. A chaque fois que j'essaye de l'atteindre, il s'échappe, ruban ténu se transformant en filet de fumée, dispersé entre mes doigts. Il y avait Lauhys qui enchaînait les mélanges douteux en rigolant, un air de défiance au fond des yeux. A chaque protestation, elle me tendait un nouveau verre et m'observait le boire, un demi-sourire moqueur flottant sur les lèvres. Il y a eu la brunette qu'elle m'avait désignée en pouffant d'un rire éthylique. Elle te trouve charmant. Hurlé dans les oreilles pour couvrir le bruit de la musique. La fille qui danse contre moi, une clope à la main tandis que Lauhys en profite pour s'échapper de ma surveillance. Il m'a semblé partir à sa recherche. Ou le vouloir. Mais il y avait la fille, la brune, très mignonne. Les marches grincent sous mes pieds. Un groupe de types me bouscule dans les escaliers. Je tangue un peu, probablement encore un peu ivre de la veille.
Pourquoi une surveillance ?
Je fronce mes sourcils.
A un moment j'ai voulu l'embrasser et elle m'a regardé d'un air douloureux. C'était avant la brune. Et c'est probablement pour cela que je l'ai laissée partir par la suite. Pour son refus. Ou pour une autre raison. Le sol est jonché de paillettes. J'en ai quelques-unes dans les cheveux et sur le visage. La veille, il y avait des gens qui en versaient par paquet sur les convives ravis. Adossé contre le mur froid de la cuisine, je tire une clope tordue du paquet coincé dans ma poche arrière et l'allume nerveusement. Je me trompe. Ce n'est pas moi qui ai voulu le baiser, c'est elle.
Les paillettes scintillent au sol dans un rayon de soleil qui filtre par la fenêtre de la cuisine. Lauhys en avait partout hier soir. Sur les cheveux, le visage, les épaules, la poitrine. Elle a passé une main pailletée dans mes cheveux. C'est comme ça que j'en ai eu sur moi. Et j'ai retenu sa main comme j'ai retenu son mouvement vers moi. Tandis que la fumée s'échappe en grésillant de ma cigarette je tente de comprendre ce qui m'a poussé à refuser ses avances.
La cuisine donne sur jardin complètement laissé à l'abandon dans lequel avaient été montés une tente et une balancelle confortable. Deux ou trois chats errants prennent le soleil, paresseusement allongés dans une balancelle. La veille, la tente était décorée de guirlandes lumineuse. Il y avait une table qui ployait sous le poids des bouteilles d'alcool et les saladiers de punch aujourd'hui vides. Je tapote mon mégot dans un cendrier plein à craquer et reste un moment les yeux posés sur les rayures de la balancelle. Je revois l'Autre, son air hautain tandis qu'il me sert la main sans se lever. Chemise blanche un peu déboutonnée, longs cheveux blonds ramenés en chignon sur le haut de son crâne. Épaules larges, bassin étroit, il a une beauté sculpturale et étincelante assise à ses côtés qui rigole fort et passe régulièrement la main dans son dos. Lauhys m'a dit leurs prénoms. Ils sont mariés. Elle a une brisure ténue dans la voix quand elle dit ça.
Lorsqu'elle a voulu m'embrasser, elle s'est assurée qu'Il était dans le champs de vision. J'avais surpris leurs échanges de regards brûlants. Il ne lui avait pas adressé la parole de la soirée, ou pour de simples banalités. En apparence, ils avaient l'air distants. Indifférents. Il m'avait fallu un moment pour saisir leur manège, mais il avait fini par m'apparaître très clairement. Lorsqu'elle entrait dans une des nombreuses pièces de la maison, il ne Lui fallait pas plus de 5 minutes avant de débarquer, Lui aussi, l'air de rien. Il n'allait pas la voir directement. Il la regardait tout en parlant à d'autres. Lorsque l'un deux passait à proximité de l'autre, il y avait une caresse discrète du bout des doigts. Imperceptible. Elle faisait exactement la même chose que Lui et ça m'avait énervé.
C'est magnétique. Elle avait fini par lâcher ça avec un air d'excuse et de honte dans les yeux. Je m'étais raidi. C'est mal et je le sais. Sa copine est magnifique et merveilleuse. Il ne se passera rien. Elle avait dit tout ça très vite. Trop vite. Les mots s'entrechoquaient comme quand on récite une leçon apprise par cœur sans trop en comprendre la signification. Tant que tu seras là, il restera loin et je serais tranquille. Je devais l'empêcher de faiblir. Je devais l'aider à passer à autre chose. Et puis elle s'était mise à boire et j'aimais bien cette Lauhys très légère qui dansait sur toutes les chansons avec un air ravi. J'étais obnubilé. Heureux de la confiance qu'elle avait placée en moi. Je n'avais pas encore compris que c'était une façade.
J'étais un leurre pour sa culpabilité. Un outil pour détourner l'attention des autres et capter la Sienne. Elle me présentait à tout le monde. Posait ses mains sur moi à la moindre occasion. Enveloppé par l'alcool et l'ambiance, j'aurais pu n'y rien voir car elle était habile à feindre son intérêt.Ou peut-être était-elle sincère. Mais son attirance pour moi n'arrivait probablement pas à la hauteur de ce qu'elle ressentait pour Lui. Lorsqu'elle avait voulu m'embrasser, j'avais capté son coup d'œil en coin, très rapide, et je l'avais vu, Lui, en arrière-plan, dans un flou coloré. Je l'avais retenue.Son regard douloureux était passé comme une ombre sur son visage puis elle s'était recomposé un éclat de rire pétillant et m'avait désigné la brunette comme si rien n'était.
Il y avait eu un flou stroboscopique. Beaucoup de danse, des corps en fusion.La brune, avec les cheveux coupés à la garçonne, son air de garce et sa gouaille m'avait accaparé. J'ai eu l'impression de disparaître dans sa bouche lorsqu'elle elle m'avait embrassé. La température s'était élevée de plusieurs degrés. On s'était isolés en rigolant, complètement ivres, dans la mezzanine. Nos vêtements avaient disparu comme par magie. En fond sonore, la fête qui battait son plein alors qu'on était au petit matin. Les éclats de voix, les rires étouffés des gens qui sont entrés dans la chambre sans savoir ce qu'ils allaient y trouver et repartent en bafouillant des excuses amusées, quelques applaudissements, quelques protestations de ceux qui auraient voulu eux aussi utiliser la mezzanine. La brunette, qui me caresse. Le sexe maladroit mais festif embrumé par les vapeurs d'alcool. Le noir total.
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Elle et mon attente
RomanceC'est une rencontre. Ou des retrouvailles. Ou un fantasme. Mais surtout, c'est Elle. Certains passages sont un peu osés, vous êtes prévenus.