Chapitre 5 : « Essaie d'être moi, tu verras si on a toujours le choix. »

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Et pourtant, il ne se pointa pas à l'appartement de toute la soirée, si bien que je mangeai en silence, trop soucieuse pour ouvrir la bouche ; vérifiant mon portable toutes les deux minutes au cas où j'aurais reçu un SMS. Aucun message ne semblait vouloir venir... Et le temps passait, et je ne parvenais pas à suivre la conversation, qui semblait enjouée, bien que je n'aurais pas pu en jurer... Je flottais des kilomètres au-dessus du sol – à moins que je n'ait été enterrée six pieds sous sol, perturbée par une seule question : qu'était-il en train d'arriver à Clément ?...

J'avais demandé des explications à Elinor, évidemment. Mais elle ne daignait pas me répondre, elle non plus... Alors, le nez dans mon assiette, je remuais la nourriture avec laquelle on l'avait remplie, remuant la mixture du bout de ma fourchette – j'ignorais à la fois ce que je remuais, et avec laquelle des trois argenteries j'étais en train d'en faire de la bouillie.

Que lui avait-elle fait ? Comment allait-il ? Quand rentrerait-il ?... Elle n'allait pas mettre ses menaces à exécution ?... Et dire que j'avais dit à John - que j'avais un jour pensé - qu'Elinor ne ferait pas de mal à une guêpe...

C'est après ce qui me parut être une attente interminable que Chloé, Léo, leurs amoureux, et les quelques personnes qui s'étaient incrustés à la soirée – bien que je fusse incapable de dire de qui il s'agissait – partirent dans le salon, tandis qu'Elaine et moi débarrassions la table... et c'est ce moment-là que choisit mon amoureux à moi pour entrer à pas de loup dans l'appartement.

Ce fut comme si tout le poids du monde tombait de mes épaules. Le voir, c'était comme réaliser que plus rien, jamais, ne me ferait de mal. Tant qu'il était en sécurité, tout allait bien. Tout serait bien. Et je courus me réfugier, m'abandonner dans ses bras, qui m'accueillirent, m'enlaçant si longtemps que nous aurions pu devenir une seule statue, figée pour l'éternité... Et ça aurait sûrement été le mieux qui puisse nous arriver.

Pourtant, comme à son habitude, Elaine, qui en avait assez de faire le ménage toute seule pendant que Clément inspirait les effluves de mon parfum, vint jouer les troubles-fêtes :

- Génial. Maintenant que tous mes colocs sont en couple, je peux aller me défenestrer sans que quiconque s'en rende compte.

Je ris, et embrassai Clément, signifiant indiciblement à l'Italienne qu'elle ferait mieux d'aller dans le salon. Il me rendit mon baiser, et c'était si agréable que j'aurais pu rester là jusqu'au lendemain... Mais dès qu'elle fut partie, j'y mis fin, pour lui chuchoter « Je crois que nous devons parler... », et il hocha la tête, avant de me dire que nous le ferions, si je le souhaitais toujours, quand tout le monde serait parti. J'acquiesçai, et nous rejoignîmes le reste de la troupe, qui riait à gorge déployée, entassée sur les canapés.

Il s'assit, et je pris place presque sur lui, blottie contre son cœur, les pieds sur le canapé, exactement comme on m'avait toujours dit de ne pas faire, exactement comme Chloé détestait que je fasse. Et pourtant, elle devait avoir remarqué que quelque chose clochait, puisque, pour la première fois, elle ne me reprocha rien. Mais le guitariste, quant à lui, ne se gêna pas... Je ne l'avais pas vu si heureux depuis des lustres, il devait être si soulagé que personne n'ait révélé ses histoires de fesses à son copain...

- Eh bien dis donc, rit donc Léo, on dirait bien qu'April a peur que Clément s'enfuie...

Et c'était on ne peut plus vrai. Je ne pouvais pas supporter qu'on le fasse disparaître à nouveau.... Plus jamais.

- Elle a raison, me surprit la voix grave de Clément, que je sentais vibrer jusqu'au dans son torse ; après tout, la moitié de Paris me court après (je me figeai en comprenant le véritable sens de sa blague... Il le sentit, si bien qu'il embrassa le sommet de ma tête, et fit courir sa main gauche le long de mon dos, dans un geste qui avait, jadis, eut l'habitude de me rassurer... mais ce ne serait plus jamais le cas ; j'entendais désormais en boucle ma sœur me dire « He could lose his only arm left », et, quand je fermais les yeux, je le revoyais ligoté, bâillonné, séquestré pour que je me taise. C'était insupportable...

April By Night 2 : Ain't No Sunshine.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant