Partie 4

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Eddy se serait flanqué des gifles. Pour un mec réputé un tombeur, il s'était montré peu subtil. Ses petits copains londoniens riraient s'ils savaient. Il chercha un moyen de rattraper le coup. La façon dont Al avait pris ses distances, sa froideur subite, ne présageaient rien de bon.

— Je ressens aussi quelque chose...de fort, déclara-t-il.

— C'est vrai ?

— Oui. Tu déclenches en moi un instinct de protection. En plus, tu me fais beaucoup d'effet.

Al rougit et baissa la tête. « J'ai fait mouche, pensa Eddy. Au fond, je ne suis pas si nul. »

— Promettez-moi de ne pas remettre ça, supplia Al.

Eddy se mit à rire : Je ne peux pas, j'ai trop envie de t'embrasser encore.

Un bruit de moteur retentit soudain dans la cour, sauvant Al d'une situation embarrassante. « C'est le garagiste, dit-il avec une sorte de soulagement. Allons voir ce qu'il va dire. »


Le verdict du garagiste fut un soulagement pour Eddy. La nouvelle batterie ne serait pas dispo avant le lendemain matin, ce qui lui laissait toute latitude pour concrétiser. Durant le reste de la journée, il se montra charmant et plein d'intérêt pour les activités d'Al. Pas une seule fois il n'évoqua la scène de la matinée. Il s'agissait de ne pas effaroucher l'oiseau fragile qu'il rêvait de capturer.

« Je me suis farci sans broncher les mille et une façons de repiquer une salade, se disait-il à la fin de la journée. J'ai même tiré sur les pis d'une de ces sales bêtes. Je mérite largement ma récompense. »

Il n'y avait à la ferme ni connexion wifi ni lecteur dvd ; juste une télé pourrie datant de Mathusalem. Il fallut bien s'en contenter pour meubler la soirée. Tous trois prirent place sur le canapé défoncé pour visionner un vieux film noir. Eddy mit à profit cette proximité pour presser sa cuisse contre celle d'Al. Le jeune homme se figea, mais ne fit pas mine de se dégager. Archie, absorbé par les images, n'avait rien vu ou feignait de ne rien voir.

Al n'osait pas tourner la tête de crainte de croiser le regard d'Eddy. Le contact de ce corps adhérant au sien l'étourdissait, faisant naître dans son bas-ventre un appel exigeant. Eddy connaissait-il pareil trouble ? Oui, sûrement. En même temps, Al éprouvait un sentiment de sécurité en sa présence. Ses préjugés de départ avaient fondu devant la gentillesse de son hôte. À l'inverse, son compagnon qui lui avait paru si aimable s'était montrait de plus en plus fermé au fur à mesure que la journée avançait. Le film fini, il se déplia sur un bâillement : « Rien ne vaut les vieux polars des années cinquante. Tu ne trouves pas, Eddy ?

— Bof, je préfère un bon James Bond, de préférence avec Daniel Craig.

— Tu n'as aucun goût. Et s'adressant à Al : Qu'en pensez-vous, jeune homme ?

— Je suis de l'avis de...monsieur Merinvale.

Tutbury eut un rire sans joie. « Ça ne m'étonne pas, dit-il en se levant. Nous sommes un peu crevés. Pourriez-vous nous indiquer notre chambre, Al ?

— Votre chambre ?

Al avait froncé les sourcils. Il ne put s'empêcher de regarder Eddy qui s'était légèrement écarté de lui. « Oui, expliqua Merinvale avec bonhommie. Ce vieil Archie et moi avons souvent partagé la même piaule depuis Oxford. Comme ça, vous n'aurez qu'une paire de drap à changer.

— Ok, je m'occupe de la literie.

— Inutile, intervint Archie, nous nous en chargeons. Tu viens, Eddy ?

Le ton insistant sur lequel ces mots étaient prononcés n'échappa pas à Al, mais son ami n'eut pas l'air d'en tenir compte. Il fixait un point sur le mur. « Avant, je m'enverrais bien un petit whisky, dit-il enfin d'un ton nonchalant.

Une expression de mécontentement apparut sur le visage de Tutbury : « Comme tu veux, répliqua-t-il. Je t'attends. Bonne nuit, mon garçon.

— J'ai un excellent pur malte, annonça Al une fois l'ami d'Eddy sorti de la pièce. Je le garde sous clé à cause de...

Il s'interrompit. Eddy venait de lui prendre la main. Une chaleur agréable se répandit dans toutes les fibres de son corps. « Je m'en fous, de ton whisky, murmura Merindale, c'est toi que je veux.

Le pouvoir suggestif de cette voix provoqua chez Al un amollissement de tout son être. Il se sentit entraîné vers le couloir, presque à son corps défendant. Archie n'étant plus visible, Eddy prit le visage du jeune homme entre ses paumes en coupe et l'embrassa fougueusement.


Al succomba à la magie de cette bouche chaude, de cette langue enroulée à la sienne, avant de se dégager.

—Non, il ne faut pas, déclara-t-il. Nous venons d'un milieu trop différent. Je suis un bouseux et vous un type de la haute.

— Ce soir, les différences sociales n'existent plus. Nous sommes juste deux hommes attirés l'un par l'autre.

— Non, je ne vois pas les choses de la même façon.



Mets-moi en émoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant