Partie 19

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Le lendemain, Al était à nouveau sur pied. Il insista pour reprendre le boulot malgré les réserves de lord Lyme. Il avait besoin de s'occuper l'esprit, de ne pas penser à la question qui reviendrait inévitablement sur le tapis. Edwin ne lâcherait pas le morceau. Sa manière de le couver d'un air de propriétaire agaçait Al. Le jeune homme refusait d'accourir comme un toutou au moindre sifflement de son maître.

« Je ne te comprends pas, lui dit lord Lyme à l'issue d'une séance de travail. Edwin est sympa avec toi et tu le traites comme un chien dans un jeu de quilles.

— Il ne mérite pas mieux. »

Cette réplique, lâchée imprudemment, fit tiquer lord Lyme. « Pourquoi le détestes-tu à ce point ? demanda-t-il. Il t'est très attaché. Je ne l'ai jamais vu aussi perturbé que quand cet imbécile t'a agressé. »

Al tâta machinalement sa blessure en voie de cicatrisation, mais garda le silence. La tristesse contenue dans le regard du vieil homme le dissuadait d'en dire plus. À quoi bon lui avouer qu'Edwin et le type de l'an dernier ne faisaient qu'un ? Qu'il se montrait sous son meilleur jour uniquement pour arriver à ses fins ?

« Edwin envisage de s'installer au manoir, tu es au courant ?" demanda lord Lyme.

C'est nouveau, ça, se dit Al, légèrement déstabilisé. La perspective d'une cohabitation ne l'enchantait pas. Aussi répondit-il avec froideur : « Non, je n'ai pas droit à ses confidences.

— Depuis Lyme Hall, il peut suivre les cours de la Bourse, surveiller les marchés exactement comme à Londres.

— Eh bien ! C'est une bonne nouvelle pour vous, je suppose. Al s'interrompit avant de reprendre : Combien de chapitres nous reste-t-il ?

— Trois. Je dois soumettre la première partie à une amie d'Edwin, une éditrice, pour qu'elle se fasse une idée. »

Ainsi, Merinvale n'avait pas menti. Al ne fut pas ébranlé pour autant.

« Bien entendu, s'empressa d'ajouter lord Lyme, tu es mon hôte le reste de l'été. À la rentrée, nous aviserons. »

Tout en étant reconnaissant à lord Lyme, Al espérait qu'Edwin ne tiendrait pas jusque-là. Il en aurait vite marre de la campagne. Son projet de travail à distance était bidon.


Allongé sur son lit, Eddy regardait mélancoliquement la pluie tomber. Il en arrivait à regretter le babil ridicule de Lilian. Le type lui-même ne lui manquait pas, il s'était conduit de manière trop lamentable.

Eddy avait emménagé dans l'aile sud, au motif qu'il sesentait seul dans ces pièces immenses. En réalité, pour se rapprocher d'Al. Endépit de cette proximité, leur relation était au point mort. Une fois rétabli,le jeune homme s'était remis à le fuir. Le matin, il était indisponible etl'après-midi, il disparaissait de longues heures. Seuls les repas lesréunissaient, avec lord Lyme en tiers : pas l'idéal pour une conversationintime. Plusieurs fois, Eddy était retourné au lac, mais aucun troublantbaigneur n'en fendait la surface lisse. La vision d'Al sortant de l'onde lepoursuivait. Ces épaules revêtues de peau mate où des milliers de gouttelettess'arrondissaient en perles précieuses, ce torse qui s'amincissait à la taille,ces hanches étroites, et entre les cuisses – cerise sur le gâteau –, ce bout dechair attendrissant, d'un rose nacré de coquillage. Eddy avait failli sauter de sa monture, rejoindre Al et l'étreindre passionnément. Que ne l'avait-il fait ! Le jeune homme ne l'aurait peut-être pas rejeté. Si je m'étais rappelé avant, se répétait-il, le désespoir au cœur. La jalousie le mordait à l'idée d'Al pelotant une bécasse de son âge. Après avoir douté de l'existence de la fille, il en était presque sûr.

Mets-moi en émoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant