Partie 13

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Après le repas, lord Lyme leur proposa une balade dans Worcester. Al ne connaissait pas la ville en dehors du foyer où il avait vécu confiné pendant un an. Il apprécia particulièrement la visite de la cathédrale. Lord Lyme, féru d'Histoire, livra mille détails sur l'édifice construit au Moyen-âge et remanié par la suite. Même la présence d'Edwin ne parvint pas à lui gâcher son plaisir. De son côté, Eddy qui s'attendait à bâiller devant les vieilles pierres, ne s'ennuya pas un instant. Il était content d'avoir laissé Lilian à la maison. Cet idiot aurait geint tout du long. Il allait devoir le supporter le reste de mes jours. On ne divorçait pas chez les Lyme et les Merinvale. Le larguer ou perdre la face. Eddy était trop fier pour prendre la seconde option. Il épouserait donc Lilian en grinçant des dents.

L'après-midi se clôtura par une promenade sur les bords du fleuve Severn. Eddy tomba sous le charme de lieux qui jusqu'ici lui avaient paru banals et sans intérêt. Albert dont les cheveux noirs brillaient dans le soleil n'était pas étranger à cette humeur romantique. Même si le garçon l'ignorait purement et simplement, son hostilité était moins palpable.

Quant à Lord Lyme, il dissimulait sous son flegme typiquement britannique, la joie d'avoir réuni ces deux-là pour un court instant. Tant pis si les jours prochains, ils se battaient à nouveau comme chien et chat. Le vieil homme ne perdait pas espoir. Tôt ou tard, Edwin comprendrait où était son intérêt et Albert cesserait de camper sur ses positions. Attendre et voir venir : la devise des Lyme.


Lilian entra sans façon dans le bureau où Al vérifiait la cohérence des pages tapées ce matin. Après le déjeuner copieux au King Charles II, lord Lyme avait préféré se faire monter un plateau dans sa chambre. Edwin ayant spécifié « Je ne dînerai pas du tout, je tiens à ma ligne. » Al qui n'avait pas ce genre de souci s'était contenté d'un sandwich. Puis il s'était installé dans le bureau, au calme. Enfin, il le croyait. Lilian était bien la dernière personne qu'il avait envie de voir. Ce dernier attaqua, bille en tête :

« J'ai à te parler, Albert. Ça ne va pas du tout. »

Le tutoiement et la sécheresse du ton n'auguraientrien de bon. De même, la lueur menaçante dans les yeux bleus. Al compara Lilianà un serpent à sonnette ; lui et Edwin faisaient bien la paire.

« Qu'est-ce qui ne va pas ? fit-t-il innocemment.

— Tu as le culot de me le demander ? Aujourd'hui, je me suis fait chier comme un rat mort quand tu te pavanais avec mon mec. »

Sa voix avait haussé d'un cran. Résolu à garder son calme, Al expliqua : 

« Monsieur Merinvale m'a invité à se joindre à lui et à son grand-père, je n'ai pas pu refuser.

— Le « Monsieur » est bien cérémonieux. Je suis sûr qu'en privé, tu l'appelles par son prénom.

— Lui et moi ne sympathisons pas. Pour être franc, je n'ai aucune estime pour lui et je ne m'en cache pas.

— Une simple ruse de ta part pour me le piquer. »

Lilian avança d'un pas. Al crut un moment que ce crétin allait lui filer une beigne. Il se leva de son fauteuil d'ordi pour parer aux coups éventuels. Mais Lilian se contenta de serrer les poings et de lui balancer, rageur :

« Tu n'y arriveras pas, je veille au grain. Edwin est à moi. Personne ne me le prendra, surtout pas un bouseux.

— Sympa. Et Al enchaîna avec ironie : voulez-vous vérifier le dessous de mes baskets ? Je les ai peut-être mal essuyées en rentrant.

— C'est ça, moque toi, sale petit opportuniste – Lilian éructait de rage –. Si tu penses me déloger, tu te fourres le doigt dans l'œil. Des types comme toi, Edwin s'en tape à la pelle. »

Je le sais, faillit dire Al, mais ça aurait aggravé son cas. Lilian était si ridicule et pathétique qu'il se mit à rire. La colère du fiancé d'Edwin se déchaîna : 

« Rigole bien, petit con. Tu t'amuseras moins quand tu dégageras d'ici. Le vieux n'est pas éternel. »

Al se raidit. Lilian ne devait pas deviner ce qu'il redoutait par-dessus tout : quitter le sûr refuge de Lyme Hall.

« C'est une menace ? demanda-t-il. En ce cas, elle tombe à plat, mon job ici est temporaire. Je partirai et je ne vous reverrai plus, ni vous ni votre Edwin. Alors, arrêtez de m'emmerder avec votre jalousie. »

Lilian grimaça comme s'il allait pleurer. Au fond, c'était un pauvre mec ; une autre victime de Merinvale.

« Je sais ce que vous ressentez, Lilian, continua-t-il d'un ton radouci. Vous vous trompez de cible.

— Tu ne sais rien du tout. Et je t'interdis de m'appeler Lilian, nous n'avons pas gardé les vaches ensemble. J'évolue dans un univers raffiné et distingué ; moi, pas dans la bouse.

— Vous pourriez varier vos comparaisons. Et je n'ai pas honte d'avoir grandi dans une ferme. »

Al se demandait si Lilian l'avait appris ou s'il en avait eu l'intuition. Ce type était infect, prétentieux, arrogant ; Edwin aurait une vie d'enfer avec lui. Ce sera ma vengeance, pensa-t-il, mais ça manquait de conviction.

« Tu fais le mariole, gronda Lilian. Méfie-toi, je peux être très méchant si je veux. »

Sur ces mots, il pivota et se dirigea vers la porte d'une démarche affectée. Al se rassit devant son écran. Impossible de se concentrer. Les petits poings rageurs, les traits crispés, la bouche de travers lui cachaient le texte. Il aurait dû lui filer un coup de boule au lieu de discuter, au risque de déplaire à lord Lyme. Mais Lilian devait redouter la confrontation directe ; les coups en douce étaient davantage son style.

Al prit une grande inspiration, et chassant Lilian de son esprit, se remit au travail.


Plus Eddy regardait vivre Albert, plus il le trouvaitattachant. Si ce garçon avait des défauts, il le cachait bien. Avec lord Lyme,il se montrait d'une patience d'ange. À sa place, Eddy aurait envoyé chier levieux. Idem avec le personnel du manoir ; Albert traitait tout le mondeavec une égale gentillesse. Il n'y a quemoi qu'il ne peut pas encadrer, se disait-il. Non, en fait, je n'existe pas pour lui. Je pourrais tout aussi bienêtre transparent. Al englobait Lilian dans cette indifférence qu'Eddyn'était pas loin de partager. Il se sentait peu concerné par les démarches relativesau mariage – publication des bans, paperasseadministrative –. Ses longues promenades à cheval sur le domaine – Lyme Hallcomportait encore des écuries – étaient des prétextes pour fuir la compagniepesante de son futur. La nuit les réunissait, du moins en théorie. Il sodomisait Lilian en rêvant qu'il s'enfonçait entre les fesses élastiques d'Albert. Et lorsqu'il pompait ce même Lilian, il imaginait le dard du jeune homme roulant sous sa langue.

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Mets-moi en émoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant