Partie 33

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Il se le répétait souvent pour s'en convaincre, mais était-ce la réalité ? Voir Eddy promener sa séduction fracassante dans la maison ou ses abords le chamboulait. Il préférait quand Merinvale prenait sa Jaguar pour aller draguer Dieu sait où. Le plan foireux élaboré par Shauna avait-il fonctionné ? Il en doutait, bien qu'Eddy lui balançât parfois des regards dépourvus d'aménité.

— Mouais fit Shauna, à présent rhabillée. À mon avis, tu l'as dans la peau.

Al haussa les épaules.

« Je l'oublierai dès que je n'aurai plus sa sale tronche sous les yeux.

L'avait-il oublié en un an ? Pas un jour, pas une nuit. Des gouttes tièdes sur sa tête l'arrachèrent à ses réflexions.

« Allons-y ! dit-il. On a juste le temps de rentrer.

Il saisit Shauna par la main pour l'entraîner. Le tonnerre se rapprochait. Entre deux grondements, un murmure de voix assourdies leur parvint. Le bruit émanait d'un des bosquets de bouleaux tout proche.

« Un voyeur, tu crois ? souffla la jeune fille, ses doigts serrant très fort ceux d'Al.

— Possible que ce soit des gars du village. On entre dans ce parc comme dans un moulin. »

Le plus sage était de s'éloigner et de signaler à lord Lyme la présence d'intrus. Al ne se sentait pas de boxer des mateurs. Shauna ne reviendrait pas de sitôt leur montrer son cul. Les chuchotements s'étaient transformés en plaintes : des sortes de râles. Un soupçon vint à Al, corroboré par Shauna.

« Ça ressemble...à quand mon père baise Honor. Leur chambre est juste à côté de la mienne et les cloisons sont minces. »

L'espace d'un instant, Al hésita entre céder à une curiosité malsaine et passer son chemin. Cette dernière option l'emporta.

«Allons-nous-en, dit-il, tirant la jeune fille par le bras.

— S'il te plaît ! Je veux voir comment on s'y prend. »

Il ne devait pas être assuré dans son choix ou alors l'excitation de Shauna était contagieuse.

 « D'accord, dit-il. Plus un mot. »

Ils s'approchèrent du bouquet d'arbres à pas comptés. Ni l'un ni l'autre n'avaient remis ses espadrilles et leurs pieds nus glissaient sans bruit sur l'herbe jaunie par la sécheresse. Plus il s'avançait, plus Al sentait son cœur tambouriner de manière inexplicable. Il se traita mentalement d'idiot. Tout ça pour une banale copulation. Il se demanda qui était la fille : une paysanne du village, l'une de celles qu'il s'était donné pour copine fictive. Quant au mec...


Le petit cri de saisissement poussé par Shauna se perdit dans le grondement du tonnerre. Par les trouées du feuillage, on distinguait non pas une femme et un homme, mais deux mecs en pleine action. Celui qui enfilait présentait un dos musculeux sur lequel s'éparpillait une longue chevelure, et un arrière train à l'avenant. Les miches robustes bougeaient au rythme des bourrages et des reculades. L'homme ponctuait chaque assaut d'un : « Ah ! tu aimes ça ! » assez fort pour être entendu des jeunes gens. L'autre, le passif, enchaînait des « oui » quasi inaudibles. Il restait invisible, en partie masqué par le corps du premier. Quand celui-ci baissa la tête, le sommet d'un crâne couvert de cheveux dorés apparut. Al eut l'impression que le ciel basculait et venait à sa rencontre. Par bonheur, Shauna se cramponnait à lui, le retenant de tomber. Un boxeur sonné sur un ring doit éprouver la même chose, se dit-il. Il entendit à peine la jeune fille murmurer :

Mets-moi en émoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant