Partie 11

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« Je suis heureux de parler avec toi seul à seul, dit lord Lyme à son petit-fils. Ton Lilian est un peu collant.

— Comme votre Albert. Vous passez vos matinées enfermé avec lui dans ce bureau.

— Ce n'est pas la même chose. Nos rapports sont d'ordre professionnels. »

Eddy saisit la balle au bond : « Non ; vous l'aimez bien et il en abuse. Il s'est montré très désagréable à mon égard. »

Le comportement inqualifiable du garçon lui restait sur l'estomac. Albert l'avait traité comme de la merde sous ses godasses. Il revoyait ses yeux noirs posés sur lui, pleins de mépris et même de haine. Des yeux noirs. Les prétendues confidences de lord Lyme étaient du pipeau ; ce gosse lui en voulait pour une obscure raison. L'aurait-il déjà croisé ?

« Ah bon ? fit lord Lyme, l'arrachant à ses réflexions. Ça m'étonne de lui. Il est si gentil. Il aime tout le monde.

— Pas moi, il ne peut pas me saquer ; c'est probablement épidermique. »

Eddy demanda, après un silence : « Lui auriez-vous raconté des trucs sur moi?

— Il se peut que j'aie laissé échapper quelques paroles imprudentes. »

Bon ; au moins, le vieux assumait. « En ce cas, dit Eddy, vous devriez calmer votre protégé. Je déteste être un intrus dans ma propre maison.

— La mienne, tant que serai en vie. Et j'y accueille qui je veux. J'ai fait des efforts pour ton petit copain, tu feras de même pour Albert. »

Mouché pour la deuxième fois de la journée, pensa Eddy. Décidément, ces deux-là s'étaient alliés pour l'emmerder. Il avait un autre atout dans sa manche.

« J'ai plus ou moins décidé d'épouser Lilian. Ça vous en bouche un coin, hein ?

Le désarroi visible du vieil homme ne provoqua pas chez Eddy la joie espérée. « Tu es assez grand pour choisir ta vie, déclara lord Lyme après s'être ressaisi.

— Un grand mariage à Lyme Hall me plairait assez, avec une réception et tout le tralala. Cet été, par exemple. Je pourrais demander à Albert d'être mon garçon d'honneur. »

Son persiflage se heurta à l'attitude digne de son grand-père. Pour la première fois de son existence, Eddy ne se sentait pas fier de lui.


Lord Lyme s'assit devant l'ordi et parcourut la page tapée par Al ce matin. Il ne parvenait pas à se concentrer tant sa conversation avec Edwin l'avait affecté. Ses plans étaient à l'eau. Non seulement son petit-fils ne se souvenait pas d'Al, mais encore, celui-ci ne pouvait le souffrir. Et puis ce projet d'union avec Lilian Croft, cette misérable petite tapette, mes ancêtres vont se retourner dans leur tombe fulmina-t-il intérieurement avant de se raisonner. Edwin était libre de ses actes et lord Lyme avait fait le deuil d'arrière-petits-enfants courant dans le parc. C'était plutôt l'idée de Lilian prenant possession du château à sa mort qui le chiffonnait. Lord Lyme avait vu son œil fureteur jauger chaque pièce. Ce crétin changerait tout : la déco, les tentures, remplacerait les meubles de famille par des horreurs inconfortables, mettrait partout des sculptures prétentieuses. Son regard tomba sur le portrait de sa fille défunte, Lydia, la mère d'Edwin. Là aussi, Lilian le décrocherait pour suspendre des tableaux post-modernes aux tons criards. Il devait absolument empêcher ça : une tâche ardue dans la mesure où Al ne l'aiderait pas.


Eddy traînait les pieds en remontant à l'étage. Il était pris à son propre piège. Impossible de renoncer sans perdre la face aux yeux du vieux. Il résolut de se débarrasser de suite de la corvée qui consistait à demander sa main à Lilian. Un truc dépassé, puant la naphtaline, se dit-il. La porte de communication était ouverte. Son futur, vautré sur le lit dans son plus simple appareil, compulsait une de ses revues de déco dont il raffolait. D'ordinaire, la vue de cette nudité appétissante occasionnait à Eddy une érection. Aujourd'hui...rien à faire.

Mets-moi en émoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant