Partie 7

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Al se réveilla tôt, selon son habitude, et s'étira longuement. Les autres mecs du foyer pionçaient en général jusqu'à midi et il y avait peu de bruits annexes. Al bénéficiait d'une chambre pour lui tout seul, grâce à Mrs Harper – Maggie –, la travailleuse sociale qui l'avait à la bonne. J'ai du bol d'être tombé sur elle, se redit-il comme presque chaque matin depuis un an. Depuis son arrivée au Foyer pour jeunes homosexuels en déshérence.

Suite à l'abandon d'Eddy, Al avait sombré dans la déprime, au point de délaisser jardin et bétail. Il ne se lavait plus et traînassait toute la journée. Interrogé, il avait fini par cracher le morceau à son vieux. Peter Brackmear n'avait pas apprécié le coming out de son fils qu'il avait chassé à grands coups de pompes dans le cul. Al avait fait du stop jusqu'à Worcester, la grande ville la plus proche, puis il avait erré de squat en squat, fait la manche et la plonge, selon ce qu'il trouvait : une période noire. Il en venait à envisager le tapin quand Maggie l'avait découvert. Elle l'avait recueilli, réconforté, écouté. En retour, il rendait de menus services à l'établissement, remplissant les papiers administratifs pour les gars à moitié illettrés et entretenant le potager du minuscule terrain.

Al en avait encore gros sur la patate quand il pensait à Eddy. Ce salaud l'avait bien embobiné avant de se tirer comme un lâche. En même temps, les souvenirs de leur nuit brûlante suffisaient à lui procurer une érection. Il se branlait en se les remémorant : triste palliatif à sa misère sexuelle et sentimentale.

Une voix derrière la porte le fit sursauter. « Al, c'est Maggie. Tu es visible ?

— Une minute ! »

Le jeune homme enfila son pyjama rapidos et alla ouvrir. Environ six pieds, un gabarit de catcheuse, son ange gardien s'encadra sur le seuil.

« Pardon de t'embêter de si bonne heure, commença Maggie, mais je devais te parler. Lord Lyme, notre bienfaiteur, cherche une personne sérieuse pour lui dicter ses mémoires. J'ai immédiatement pensé à toi.

— Je n'ai jamais fait ça. »

Maggie lui asséna sur l'épaule une tape bourrue : « Allons, allons, ce n'est pas sorcier pour qui maîtrise le traitement de texte. Tu es un bon garçon, Al, mais tu manques de confiance en toi.

— À cause de ma mésaventure, se défendit-il.

— Non, ça remonte à bien avant ; au départ de ta mère, sans doute. Quoi qu'il en soit, ce job est une opportunité de sortir d'ici.

— Je suis heureux ici. »

Le cri du cœur. « Tu ne peux pas y rester indéfiniment, dit Maggie d'un ton faussement grondeur. Tu dois voler de tes propres ailes, te faire une situation. »

Al hocha la tête, dubitatif. Le monde hors des murs sécurisants du foyer lui apparaissait menaçant, peuplé d'êtres malveillants au discours mensonger, à l'image d'Eddy Merinvale. 

« Ce lord Lyme, murmura-t-il, ce n'est pas un de ces vieux pédés dégoûtants... ?

— Non, non ; c'est un vieux monsieur respectable, un peu pète sec, mais doué d'un grand cœur.

— Il ne me prendra peut-être pas, dit Al pour se rassurer.

— Nous verrons. En tout cas, je ne vois aucun autre de nos pensionnaires capable de remplir le job. »


Lord Lyme débarqua au milieu de l'après-midi : un octogénaire droit et svelte, portant beau et vêtu avec une extrême élégance. Face à lui, Al qui avait imaginé un vieux décrépit eut un léger recul. Dans son esprit, les hommes de belle prestance étaient de redoutables prédateurs. Mais l'expression des yeux de celui-ci traduisait une bienveillance dénuée de lubricité.

Mets-moi en émoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant