Chapitre 4 : Just enough to forget

420 57 6
                                    

Vous savez, la solitude, je dirais presque que ce n'est qu'un mot. On n'en veut pas, de la solitude. La solitude, c'est pour penser aux autres. Je n'ai jamais tant pensé aux autres que quand j'étais seul. Alors peut-on appeler ça de la solitude  ?

- Henri Thomas, Les Heures Lentes.

Chapitre quatre

«  J'adorerais être un poisson.

– T'as déjà la tête qui va avec, au moins, ironise Yoongi.

– Ta gueule.  »

Jimin commença à bouder, comme un enfant de quatre ans le ferait. Les aquariums s'étalaient à perte de vue dans la salle de biologie. Ils ne contenaient que des petits poissons, mais c'était toujours un plaisir pour moi de les admirer depuis que j'étais dans ce lycée. Même s'ils avaient été capturés et enfermés, que leur malheur était affiché à la vue de tous, je les trouvais passionnants.

– Moi je dirais que tu as une tête de patate, dis-je.

– Quoi  ? Mais n'importe quoi, j'ai une tête d'homme  !

– Un homme un peu déformé, alors, reprit Yoongi en suivant des yeux un poisson bleu.

L'adolescent laissa échapper un soupir d'agacement en collant presque son nez au verre propre. Sa mâchoire parfaite rendait son profil particulièrement beau, tout comme ses pommettes hautes. Il grimaça lorsqu'un poisson s'arrêta devant ses yeux.

– Tu vas lui faire peur, avec ta vieille tête de pervers, lança Yoongi en le voyant.

– Moi, au moins, j'ai pas une tête de débile quand je souris.

Je ris discrètement pour ne pas m'attirer les foudres de Yoongi. Il faut dire qu'il avait vraiment une tête de débile quand il souriait et que ses yeux devenaient des fentes. Jimin, lui, avait une tête d'enfant lorsque tout son visage se mettait en mouvement. Yoongi tapa l'arrière de la tête de son ami, qui se cogna contre l'aquarium, faisant fuir les petits poissons.

– Eh, regarde qui va là, Capitaine. Ta muse.

– Arrêtes de m'appeler Capitaine.

Le lycéen quitta la pièce en se frottant le front pour rejoindre une fille dans le couloir. Le visage de celle-ci s'illumina à la vue du jeune homme, et elle lui dit quelques mots, avant qu'il ne se mit à rire. Ne désirant pas entendre leur conversation, je m'assis au fond de la salle, près des sauterelles gardées en captivité. Je repensai alors à la nuit dernière. Moi, assis dans le café, attendant mon ami avec les souvenirs ayant refait surface m'accompagnant, lui, qui arrivait complètement saoul  ; ses reproches, ses mots tranchants, notre courte étreinte, et mon moral remonté. Je tournai la tête vers Yoongi qui fixait intensément des phasmes.

– Jimin boit beaucoup  ? demandai-je.

– Hmm... Juste assez pour oublier, je dirais.

Je jetai un coup d'oeil vers le couloir  ; la fille était toujours là, jouant avec l'une de ses mèches de cheveux. Le dos de Jimin me permettait tout juste d'apercevoir son visage. Ses cheveux noirs tombaient sur ses épaules en de belles boucles brillantes. Elle n'était pas beaucoup maquillée, mais un trait d'eye-liner soulignait de jolis yeux en amandes. Son rire doux résonna dans la salle, tandis que son sourire apparut, dévoilant des dents d'une blancheur étincelante. On aurait dit qu'elle tournait une pub de dentifrice, en fait.

– C'est qui, cette fille  ?

– Euh... Hae Na, je crois. Elle est en première. Jimin et elle sont sortis ensemble l'année dernière.

– Elle l'aime encore, on dirait.

– C'est peut-être l'inverse, dit-il insouciamment.

Mes mains tripotaient de petits arbustes placé sur les rebords des fenêtres. Alors comme ça, il serait amoureux  ? Le principal concerné entra de nouveau dans la petite pièce blanche, recouverte d'affiches environnementales. Il s'assis sur une table, perdu dans ses pensées, et fixa ses chaussures.

J'avais du mal à croire qu'il puisse avoir des sentiments pour une fille aussi superficielle. Mais après tout, n'était-ce pas là le comportement habituel d'un lycéen lambda  ? Et, en y réfléchissant, c'était la première personne, NamJoon et Tae Hyung exclus, qui osait s'approcher de lui. Elle devait être importante à ses yeux.

*

Après mon dernier cours, je pensai à rejoindre mes deux acolytes sur une pelouse du lycée. D'ailleurs, ce lycée regorgeait de pelouses...

Arrivant de loin, je surpris une conversation entre eux.

– Tu penses que quand il va savoir, il va se barrer  ? dit Yoongi en soulevant une mèche de cheveux du bout des doigts.

– Ouais... Enfin, peut-être... Je l'aime bien, tu sais. C'est un gars cool, et puis il me comprends.

– Et moi, je te comprends pas  ?

– Si, bien sûr, mais c'est différent.

– Mouais. Tu devrais lui dire. Il va se mettre des gens à dos en traînant avec nous sans rien savoir.

– Plus tard. J'ai pas envie qu'il se barre.

Ils parlaient sans aucun doute de moi. Mes jambes commencèrent à trembler. De quoi devais-je être au courant  ?

– J'ai pas envie qu'il sache qui j'ai été. Qui je suis, la journée.

Cette révélation me conforta un peu plus dans l'identité de la personne dont ils parlaient. Alors, discrètement, je fis demi-tour et me dirigeai vers la sortie.

Les pensées se bousculèrent dans ma tête lorsque je fus chez moi. Je tentai d'organiser mes hypothèses sur ce secret, un œil posé sur ma montre qui trônait sur mon bureau.

Un trafic de drogue  ? Non, impossible. Un meurtre  ? Jamais. Pas venant de lui. Des vols  ? Non. Mais, si je rayais toutes les possibilités, il ne me resterait plus rien. La vérité, c'est que je n'avais pas envie de savoir.

Dans un élan d'idiotie, je décidai de ne pas aller à notre rendez-vous nocturne. Il n'était que dix-neuf heures. J'avais peur de m'endormir. J'avais peur de refaire un de ces cauchemars qui hantaient mes nuits depuis que j'étais parti.

Mais je tombai de fatigue, et finis par m'assoupir dans mon lit défait.

*

À trois heures trente-trois, Jimin était au rendez-vous, au Delicious  !, le café qu'il fréquentait chaque nuit. C'est avec surprise qu'il découvrit que le plus jeune n'était pas là. Lui était-il arrivé quelque chose  ? L'angoisse s'infiltrait facilement en lui, qui était déjà bien fragile en cette nuit glaciale.

Il pensa à la nuit précédente, et son arrivée ratée. L'alcool avait coulé à flot, chez Nam Joon, et le moral du beau brun n'était pas à son beau fixe ce jour-là. Il avait bu, comme à son habitude. Un peu trop, selon ses «  amis  » qui l'avaient déposé devant le café, à sa propre demande. Il avait erré quelques heures, aux alentours de minuit. Et il était tombé sur la bande de Jin, un garçon qu'il vaut mieux ne pas se mettre à dos. Malheureusement pour lui, Jimin se l'était déjà mis à dos depuis bien longtemps. Il l'avait pris par surprise, lorsque son poing s'était écrasé sur le visage du jeune homme. Les cris fusaient, de la part de la bande, et Jimin était dépourvu de force. Et, surtout, il était seul. Ils avaient fini par le laisser sur le bord du trottoir, sous les yeux des passants qui ne faisait guère attention à ces bagarres entre jeunes. Le visage dégoulinant de sang chaud, Jimin avait repensé aux événements de ces trois dernières années. Si seulement il n'avait pas voulu gagner au stupide et immature jeu de Tae Hyung, le meilleur ami de NamJoon, rien de tout ça ne se serait passé. Il n'y aurait pas eu ce dérapage, et personne n'aurait rien perdu.

En repensant à ces moments d'égarement qu'il avait eu, sa jeunesse perdue, une larme tomba sur sa joue douloureuse.

Il avait besoin de JungKook, et il n'était pas là. Il avait besoin de parler à quelqu'un, mais personne n'avait le temps pour écouter les plaintes d'un adolescent déprimé et rattrapé par ses erreurs.


And now my memory won't let me sleepOù les histoires vivent. Découvrez maintenant