I
Le complexe était dissimulé par le meilleur des déguisements: la banalité. Nul n'aurait jamais put se douter que dans ces bureaux, dépendants officiellement d'une boîte commerciale qui s'était établie en plein centre-ville, se trouvait en réalité l'un des plus grands centres de recherches en armements du pays. Les employés y sortaient rarement des différents pôles; ils œuvraient pour que leur patrie ait les moyens de se défendre. Ne pas se tuer à la tâche eut signifié trahir. Mais ce matin là, sur les coups de sept heures, deux collègues prirent tout de même le luxe, après une nuit blanche qui avait fait suite à dix-huit heures de travail diurne, d'aller à la machine à café. Ils étaient débraillés comme peuvent l'être deux personnes qui n'échappent encore au sommeil que par une volonté s'amenuisant de minutes en minutes. Le premier des deux, un homme mûr artificiellement vieilli par l'absence de lumière naturelle, se servit le premier, et fit la grimace en buvant le liquide.
"-Beurk...sérieusement, tu peux me dire pourquoi on se fait chier à travailler sur leurs armes à la con? Il suffirait d'envoyer ça en face et ils se rendraient sans condition!
-Bof, on a pas trop le choix de toute façon. Je me suis porté volontaire pour aller en chercher du vrai dehors, mais tu connais aussi bien que moi les officiels. Pas de sortie, pas de repos, juste le TRAVAIL. Il commença à son tour à boire et eut la même expression. Mais bon, faut tout de même admettre...parfois je me dis qu'ils veulent juste nous infliger une mort lente et douloureuse.
Ils restèrent debout, regardant un instant les sofas confortables de la salle de détente, mais ni l'un ni l'autre n'osèrent aller s'asseoir. Ils savaient qu'il s'effondreraient à la seconde où ils se poseraient quelque part.
-Bon, et sinon, ça avance?
-Plus vite que prévu. Il faut dire que les budgets supplémentaires ont pas mal aidés. Seulement...
-Seulement?
-Et bien, je ne sais pas trop. Je ne suis vraiment pas à l'aise avec le nouveau jouet de nos chers militaires; je dirais même qu'il me fout la trouille.
-Plus que la bombe atomique?
-Top secret.
Son interlocuteur tiqua. Il savait que son collègue n'employait cette expression que dans deux circonstances: pour se moquer des officiels ou pour signifier qu'il ne plaisantait absolument pas. Manifestement, on était dans le second cas de figure.
-C'est à ce point?
-Forcément, toi tu n'es qu'aux calculs. Tu ne sais pas vraiment sur quoi tu travaille.
-Oh, je t'en prie, je sais lire! Je vois bien que les chiffres qu'on nous demande d'employer son assez impressionnants. Mais je ne me doutait pas que...
-Et bien si. Ce n'est pas tant la puissance du machin qui me chiffonne. C'est surtout la manière dont on s'y prend pour anéantir des milliers de vies. Sérieusement, ce truc est terrifiant.
-Tu sais que tu me fais me sentir coupable? Presque autant que lorsque j'ai participé à la bombe déshydratante...oui je sais, je ne devrais pas plaisanter, mais je trouve tout de même que t'en fais un peu trop. De mon simple point de vue mathématique, les chiffres ont effectivement de quoi faire peur, mais pas au point que l'on devienne la mort et le destructeur de mondes.
-Qui te parle de détruire? Le scientifique eut un regard inquiet vers le couloir. Il espérait que personne n'était en mesure d'entendre cette conversation à part eux deux, parce qu'effectivement, le simple fait de parler de la finalité du projet relevait de la haute trahison en plus de la violation manifeste des règles de son contrat. C'est bien ce qu'il y a de plus horrible. On ne détruit pas. On améliore.
VOUS LISEZ
Ce que l'aube ne promet pas
Kısa HikayeA l'attention des lecteurs: Cette œuvre est un recueil de nouvelles, et il n'y a donc pas de lien entre les différents chapitres. Certes, j'ai bien essayé de donner un semblant de cohérence avec le fil rouge, Gauthier Sans-Avoir, mais il est plus u...