Chrisitina

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Elle doit me prendre pour un fou. Sûrement même.

La fenêtre de ma chambre donne sur une petite impasse. En face, il y a un grand immeuble qui forme un U. Comme c'est là qu'est mon bureau, je me retrouve souvent à le regarder entre deux séances de travail. Elle est là chaque matin, au troisième étage sur la droite. Je ne sais pas quel âge elle a, sans doute la vingtaine comme moi, mais elle est très belle. Très sportive aussi : chaque fois qu'elle ouvre ses rideaux le matin, elle est en survêtement de sport, quelque soit la saison, et elle part courir. J'en suis venu à faire des projets absurdes ; j'ai acheté une tenue de sport complète pour aller courir moi aussi. Evidemment, j'ai arrêté au bout de cent mètres, en train de vomir mes poumons sur le trottoir, et maintenant la tenue à 220euros se trouve au fond d'un placard dont elle n'est pas prête de sortir. En plus je ne sais même pas où elle court.

Elle doit me prendre pour un fou. Sûrement même.

Je ne suis pas quelqu'un de matinal, et je n'aime pas veiller tard le soir. Pourtant je me lève de plus en plus tôt juste pour voir la lumière s'allumer derrière ses rideaux. Je reste travailler de plus en plus tard aussi, cette fois-ci pour la vue sur sa chambre vide, en attendant qu'elle vienne les refermer. L'ennui, c'est que plus j'y pense, moins j'arrive à me concentrer. Encore une fois, elle est très belle, mais je ne m'intéresse pas qu'à ça, parce qu'il m'arrive aussi de la voir travailler. Je me demande ce qu'elle étudie, penchée sur ses cahiers. Parfois, elle avance une main vers son portable et je me dis alors qu'elle doit avoir un mec. Lorsque je m'intéresse à une fille, elle en a toujours un. Mais cette fois-ci, ça ne suffit pas pour que j'abandonne ; j'ai un très bon appareil photo chez moi. Ca fait des jours que j'attends l'occasion qu'elle sorte de sa chambre, ses livres toujours ouverts sur son bureau à elle, pour pouvoir zoomer au maximum dessus et savoir. Je n'oserai jamais aller lui demander.

Elle doit me prendre pour un fou. Sûrement même.

Comme beaucoup de garçons, les jolies femmes me terrifient. Je me pose beaucoup de questions sur elle, mais je préférerais mourir plutôt que d'aller lui parler. Honnêtement, c'est du pareil au même: mon coeur bat déjà très fort lorsque je la vois de loin, je n'imagine même pas si je l'avais juste en face. Alors du coup, je me conduis comme un pervers. En suis-je un? Je ne prends aucune photo d'elle. Je ne jette qu'un coup d'oeil furtif quand elle est là. Je ne cherche jamais à savoir à quelle heure elle rentre, qui elle a dans la vie, je ne veux même pas savoir comment elle s'appelle, ce serait trop tentant de la demander sur facebook. Pourtant, je sais qu'on me verrait comme tel si jamais je disais ça à quelqu'un. Je ne sais pas comment faire autrement. J'ai de moins en moins de facilité à  ignorer sa présence. Je ne sais pas pour elle, mais moi je n'ai personne. Ce serait si simple de mener mon enquête, juste d'écrire une lettre...non, je ne saurais pas quoi mettre dedans. Et puis même: "bonjour, je suis votre voisin d'en face, je vous matte depuis pas mal de temps et je crois que je vous aime. On ne se connait pas, ça vous dirait qu'on se rencontre? Si vous dites non, je déménage et je vous laisse tranquille, promis."

Elle doit me prendre pour un fou. Sûrement même.

Et puis il y a eu un matin. J'étais un peu plus en forme que d'habitude, une grande première vu les nuits blanches que je me coltine depuis des semaines; j'avais fait mon lit, plus un café, que je buvais debout devant ma fenêtre. C'est alors qu'elle a ouvert les rideaux en grand. Comme toutes les femmes je suppose, elle a un rituel très précis une fois qu'elle est levée, et je ne l'entr'apercevais que quelques secondes tous les matins, avant qu'elle n'aille dans ce que j'imagine être sa salle de bain. Puis il y avait juste une ombre qui venait éteindre la lumière et plus rien jusqu'au soir. Mais cette fois-ci, il a suffit qu'elle regarde juste quelques secondes. Elle m'a vue. Je n'ai rien trouvé de mieux à faire que de rester planté sur place, à la regarder fixement. Elle a froncé les sourcils, et j'ai trouvé encore plus stupide à faire: j'ai fait un grand sourire et un signe de la main. Elle est partie tout de suite. Je suis un idiot doublé d'un crétin et d'une sombre merde. Maintenant c'est sûr, elle va essayer de voir à chaque fois si je la regarde, elle va finir par prendre peur et appeler la police; ou pire, elle va venir jusqu'à chez moi pour m'engueuler. Je suis vraiment trop con.

Ce que l'aube ne promet pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant