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Mains menottées, deux gardes tenant chacun de mes bras, j'avance dans ces couloirs froids. Les bâtiments sont vieux et les éclairages vacillent de temps à autre, mais on apprend à s'y faire. De plus, ce n'est pas comme si l'environnement qui m'entoure était délabré. Chaque directeur a fait un effort pour rendre cet endroit un minimum accueillant. Cependant, aucun d'entre eux n'a visiblement envisagé de changer la couleur des murs. Le gris, ça colle bien aux établissements pénitenciers pour mineurs.

Les gardes m'emmènent dans la salle des visites. D'après ce qu'on m'a dit, mon conseiller veut me parler. La dernière fois que ce fût le cas, c'était pour m'annoncer que j'avais perdu mon procès et que j'allais de nouveau me retrouver enfermé. C'était ce que je voulais, rester enfermé jusqu'à mes 18 ans, puis être libre. Parce que oui, tout le monde n'a pas la chance d'avoir un conseiller. Seuls les enfants potentiellement adoptifs en bénéficient.

Ross Tores m'attend donc patiemment sur sa chaise, les avant-bras posés sur une table métallique. C'est un homme de taille moyenne plus ou moins baraqué. Je suis certaine qu'il a un bon fond - sinon il n'aurait pas choisis ce métier - mais je suis incapable de lui faire entièrement confiance. Il a très lourdement échoué à sa tâche la dernière fois.

Les gardes m'installent devant lui, me retirent les menottes puis s'en vont dans un coin de la pièce. Ils ne sont jamais très loin.

- Chloé... - Sa voix est posée et je vois son œil se plisser comme il le fait à chaque fois qu'il réfléchit.

- Tores. - Il est agréable et tendre durant ses bons jours mais sait se faire respecter. C'est ainsi que je comprends, rien qu'avec un regard, que je dois modifier ma dernière parole. - Conseiller Tores.

- Chloé, j'aimerais que tu m'écoutes très attentivement et surtout que tu ne me coupes pas.

- Je vais faire ce que je peux. - Raté, je viens déjà de l'interrompre. Je lève alors légèrement mes deux mains et reprends. - Désolé.

Devant lui se trouve un nombre indéterminé de papiers, à coup sûr confidentiels et important, qu'il ne peut s'empêcher d'aligner comme s'il était stressé. Une peine plus longue ? Plus courte ? M'envoie-t-on dans un foyer de groupe ?

- Je sais que ça ne va pas te plaire, mais sache que je fais ça pour ton bien. Demain, à 9h précise, je viendrai te chercher. - Pour aller où ? Aussi, pourquoi ? Pourquoi ne puis-je pas rester ici ? - Je t'amènerai dans ta nouvelle famille d'accueil.

Je sens mon pouls s'accélérer et ma respiration devenir irrégulière. Un foyer de groupe me parait être une sentence moins pénible que le fait de me retrouver dans la maison de nouveaux inconnus - et pourtant.

- Non.

- Je ne te donne pas le choix.

- Non ! - Je tape du poing et le bruit résonne dans toute la pièce. Les gardes réagissent mais Tores leur indique qu'il contrôle la situation. - Vous aviez dit que vous me croyiez.

- Et je te crois toujours. Je n'ai pas choisis quelqu'un au hasard, je connais cette personne, O.K. ? C'est un ami à moi.

- Vous croyez que ça change quelque chose ? - Le fait que je hausse le ton plaît de moins en moins aux gardes qui nous préviennent que je risque de retourner en cellule.

- Je fais ça pour toi je te dis ! Qu'est-ce que tu crois ? Tu penses réellement qu'à tes 18 ans on va te lâcher ? Non. On te changera de pénitencier pour te mettre avec les adultes.

- Alors un foyer ! Je me fiche d'y être placé, je ne suis pas comme les autres à pleurnicher sur ce sort.

- Après un foyer tu seras surveillé. Et dans tous les cas tu ne seras pas relâché à ton à anniversaire. - Peu importe si je dois attendre quelques mois ou années de plus tant que je ne me retrouve pas dans une nouvelle famille. - Cet ami sait quel genre de personne tu es. Je l'ai prévenu du fait que tu envisageras de partir dès que tu en auras l'occasion, et il s'en moque. Tout ce qu'il veut c'est t'aider.

- En échange d'une rémunération, comme tous les autres. - Tores s'apprête à répliquer mais je reprends avant lui. - Et si je déclenche une bagarre. Personne ne me laissera sortir dans ces conditions.

- Je me suis mis d'accord avec le centre. Ils te connaissent tout autant que moi et savent que tu es capable de tout pour rester ici. De ce fait, peu importe ce qui se passe à partir de maintenant, tu seras libéré demain.

Je m'affale sur ma chaise. Comment a-t-il pu ? Il n'a en réalité rien compris. Je dis aux gardes que la visite est finie et leur demande de me ramener dans ma cellule. On me remet alors mes menottes et durant tout ce temps, ni Tores ni moi ne lâchons le regard de l'autre. On m'oblige alors à me lever, et me revoilà à faire le même chemin que tout à l'heure mais en sens inverse. Nous passons près du réfectoire et de la salle de repos. A travers les vitres je vois les autres détenues m'observer. Peut-être ont-elles compris que je suis sur le point de sortir.

- Hawkins. - Me dis sur un mauvais ton Amy Moritz, une autre détenue avec laquelle je ne m'entends guère. Je ne prends même pas la peine de lui répondre et m'obstine à fixer ce qui se trouve droit devant moi - peu importe la situation.

Il nous faut environ cinq minutes de marche pour atteindre ma cellule. Je l'a partage avec une fille qui se trouve dans l'exacte même situation que moi. Seule elle me comprend vraiment, si bien qu'elle est devenue comme ma sœur.

Charlotte observe donc, du haut de son lit superposé, la porte s'ouvrir. Ses yeux racontent tout : elle veut savoir ce qui s'est passé.

- Alors, qu'est-ce qu'il te voulait ?

Je ne sais pas comment lui annoncer. J'aimerais pouvoir rester près d'elle jusqu'à-ce que nous sortions, toute les deux. Je sais désormais que ce sera impossible. Charlotte a encore un an à tirer.

- Il me fait sortir demain matin. - Je n'ose pas la regarder. Tout comme moi, demain, elle perdra sa meilleure amie.

- Pour aller où ?

- Il m'a trouvé une famille... il paraît que j'y serais en sécurité.

- C'est ce qu'ils disent à chaque fois.

Elle est en colère. Comment ne pas l'être. Je tourne la tête vers elle et l'a voit s'allonger et regarder le plafond craquelé de notre cellule. On nous répète toujours les mêmes paroles et nous nous retrouvons toujours dans mêmes situations. Au final, on se rend compte que se retrouver au centre n'est pas si mal.

- Eh, j'ai pas l'intention de t'abandonner. Je viendrais te voir, je t'écrirai. - Elle lève la tête et affiche un air peiné et surpris. - Je te le jure.

Elle saute de son lit et s'approche de moi. Charlotte est une fille féminine et assez grande. Elle a les cheveux châtains coupés en un carré flou et ébouriffé. Elle avance, les deux mains fermées, à l'exception du petit doigt de sa main droite.

- Promis juré ? - Son sourire est malicieux. Elle sait que je vais tenir ma promesse mais elle veut juste me voir sourire. C'est réussi.

- Promis juré. - Dis-je en croisant mon petit doigt avec le sien.

The Odds Of A FoxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant