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Une nuit. Deux nuits. Trois nuits consécutives sans sommeil. Je refuse de voir la fin de ce rêve. Je ne sais pas s'il arrivera au cours de la nuit prochaine ou dans un mois, mais la simple idée de m'imaginer en train de revivre cette scène me donne la nausée et la force de ne pas dormir. Trois nuits. J'en profite pour rattraper mon travail en retard, ce qui semble être efficace – ou du moins je l'espère. Cependant, plus les nuits blanches s'enchainent, plus ma force s'estompe. Mais je ne peux pas dormir. Je suis bien trop effrayée pour ça. Tant effrayée que j'en reviens à verrouiller mes portes une fois le repas terminé alors que je pensais avoir dépassé cette étape.

J'ai presque fini le livre que notre prof de Français nous avait demandé d'étudier quand mon réveil sonne et me fait sursauter. Plus les journées passent et plus les sons semblent s'amplifier. Le réveil, les chiens qui aboient dans les jardins, le bruit de l'eau qui tombe sur la céramique du bac de douche... Je vois quelques visages, ceux de mes nouveaux proches, se retourner vers moi de plus en plus inquiets à mesure que les jours défilent. De même, plus les jours passent et moins le son de ma voix se fait entendre. Je ne pense pas avoir parlé depuis le début de la journée d'ailleurs, si bien que lorsque mes profs font l'appel je me contente de lever la main.

C'est de là que me viennent le plus de remarques de la part de mes amis. « Qu'est-ce qui t'arrives ? », « Il en faut pour te faire décrocher un mot ! », « Quand tu voudras nous faire partager ton avis penses un nous faire un signe ».

Je comprends parfaitement leurs remarques puisqu'elles sont justifiées, mais je les sens de plus en plus directes et froides ce qui commence à me faire paniquer. Vont-ils se lasser de moi ? Vont-ils imaginer que je ne m'intéresse plus à eux et à ce qu'ils partagent ? Mais ça n'a malheureusement rien à voir, et je ne suis pas en mesure de leur expliquer la situation.

La seule qui semble la comprendre est Ruby. Elle ne fait plus de remarque mais ce n'est pas parce qu'elle est irritée. La manière dont elle m'observe m'attriste. Elle est assez intelligente pour pouvoir faire le lien entre mes inquiétudes à propos de mes cauchemars et l'état dans lequel je me trouve maintenant, et elle sait qu'elle ne peut pas y faire grand-chose. C'est pourquoi elle reste constamment près de moi. Du moins quand elle le peut.

Une fois rentrée chez moi je me retrouve seule. Comme si Theo n'était en réalité pas dans cette maison. Je me retrouve seule et je suis incapable de déterminer le nombre d'heures que je passe à regarder mon reflet dans le miroir de la salle de bain. Debout, faisant face au lavabo mais aussi et surtout faisant face à moi-même. Bien entendu j'ai un miroir bien plus imposant dans ma chambre mais la luminosité régnant dans la salle de bain rend mon reflet différent. D'une certaine manière, la cicatrice au-dessus de mon sourcil droit semble être plus marquée. C'est elle que j'observe le plus. Je la méprise. Qu'il s'agisse de sa forme irrégulière ou du souvenir qu'elle porte. J'aimerais tant la voir disparaitre. Mais elle ne s'en ira probablement jamais. Et le trauma restera incrusté.

Je finis mon livre de français assez tôt et me retrouve désormais sans nouveaux devoirs à terminer. Je regarde alors dans le vide, assise sur mon lit, exténuée. Et les heures passent ainsi. Du moins jusqu'à l'instant où je réalise qu'après que mes pensées aient divaguées durant de longues heures, elles se sont alors stoppées depuis longtemps sur une personne : Ruby. Des souvenirs, des rêveries, des envies. C'est pourquoi j'attrape instinctivement mon portable et décide de composer son numéro. Je ne sais même pas si je serais capable de prononcer un mot, mais toutes les cellules de mon corps m'ordonnent d'essayer d'être au plus proche d'elle.

- Allo ? – J'entends après une longue sonnerie. A ce point, j'ai cru que j'allais arriver sur son répondeur. – Chloé ?

- Ruby ? – Il me faut un temps d'adaptation. Un temps où je me bats contre moi-même pour correctement articuler son prénom. Puis une fois ma langue désengourdie, le reste des mots suivent. – Excuses-moi, je t'ai réveillée pas vrai ?

The Odds Of A FoxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant