Royales [Sous contrat d'édition]

Chapitre 6

Je m'assois à table avec toute la grâce dont je suis capable, et je reste silencieuse alors que les serviteurs apportent l'entrée. Ce n'est pas à moi d'engager une conversation, mais à la reine. Je ne parlerai que si elle m'indique qu'elle le souhaite. Un repas au palais est clairement moins animé que dans le bunker, mais il y a tout de même un avantage : la nourriture est bien meilleure. Je ne peux m'empêcher de saliver en voyant l'assiette déposée devant moi, même si je dois attendre le signal de ma grand-mère pour commencer à manger.

A peine ai-je avalé la première bouchée que la reine me demande :

"Eh bien, Margaret. Comment s'est passée votre intervention à la télévision tout à l'heure ?"

Victoria II sait pertinemment que nous sommes seize clones, et que je ne suis probablement pas la même que celle qui a donné une interview il y a quelques heures. Préfète-t-elle se voiler la face concernant la décision qu'elle a prise il y a dix-huit ans, et faire comme s'il n'y avait qu'une seule princesse ? Ou bien essaye-t-elle de me piéger en me déstabilisant ? Quoi qu'il en soit, je reste sereine, et je réponds :

"Très bien, Votre Majesté. Le présentateur a tenté de m'interroger sur ma vie amoureuse, mais j'ai coupé court à ses questions."

J'avais beau pester contre le visionnage obligatoire de l'interview de Gisele tout à l'heure, maintenant, je suis bien contente d'avoir prêté attention à ses propos afin de pouvoir donner des détails à la reine. Cette dernière enchaîne :

"Et en privé, y a-t-il des choses que je devrais savoir à ce sujet ?"

Je hausse les sourcils. Depuis quand la reine s'intéresse-t-elle à la vie amoureuse de Margaret ? Elle sait bien qu'elle a tout fait pour que les clones ne puissent pas en avoir une. L'espace d'un instant, je pense à Jane, mais je la chasse rapidement de mon esprit. Je ne dois pas la trahir. Je réponds d'un ton aussi neutre que possible :

"Non, Votre Majesté. Il n'y a rien."

Ce que la reine prévoit pour notre avenir reste un mystère pour nous, les clones. Margaret est la seule enfant du prince Richard, lui-même fils unique de Victoria II. En l'absence d'un héritier, il y aura une crise de succession à la mort de la princesse, et la monarchie ne peut pas se le permettre. Mais envisager une noce avec seize mariées semble également impossible... A mesure que mes sœurs et moi avançons en âge, cette question est l'une de celle qui suscite le plus de débats et d'hypothèses parmi nous.

Je suis soulagée quand la reine enchaîne sur un sujet moins sensible à mes yeux :

"Comment se déroulent vos entraînements d'équitation ?"

S'ensuit un interrogatoire sur ce registre. La reine me pose des questions sur les spécialités de mes sœurs, en évitant soigneusement la littérature, ma zone de confort. Il devient clair à mes yeux qu'elle est en train de me tester. Mais pourquoi ? D'habitude, lorsqu'une clone est conviée en sa présence, elle ne lui accorde pas plus d'attention qu'à un pot de fleur.

Le petit jeu de Victoria II s'arrête lorsque le personnel du château rentre dans la pièce pour servir le plat principal. Après leur départ, elle se décide enfin à en venir à un sujet qui me concerne personnellement :

« Avez-vous déjà des favoris pour la prochaine édition du Prix Royal de Littérature, Margaret ? »

Je me redresse. Cet événement, que la princesse parraine, est mon moment annuel de gloire, et il s'ouvre dans quelques jours. J'en ai été la présidente du jury pour la première fois il y a trois ans, pour la vingt-cinquième édition : auparavant, c'était le fils d'une cousine de Victoria II qui s'en chargeait. Mais plus la princesse Margaret cumule de fonctions, mieux cela vaut aux yeux de la reine. Et j'adore avoir l'opportunité de distinguer un auteur britannique, avec les conseils d'une sélection de journalistes.