Dès la fin du message diffusé sur les haut-parleurs, je me précipite vers la salle commune. Je ne peux pas me permettre d'être en retard pour la visite de la reine. Toutes mes sœurs en sont également conscientes : les couloirs et l'escalier sont bondés, non seulement par les clones, mais aussi par des membres du personnel. J'en déduis qu'eux non plus ne savent pas de quoi il va être question.
Dans la grande salle, les tables ont été poussées, et les chaises, disposées en rang. Certaines de mes sœurs se sont déjà installées. Au premier rang, je reconnais Margaret-Agnes et Margaret-Gisele, semblant apparemment décidées à attirer l'attention de la reine même si cette dernière est incapable de les distinguer des autres. Tout à l'arrière, Margaret-Harriet est recroquevillée sur sa chaise, les cheveux devant son visage, comme si cela pouvait cacher sa cicatrice. Pour ma part, je m'installe au deuxième rang, à côté d'Elizabeth. Cette dernière me glisse :
"Toi qui étais dehors hier soir, tu n'as aucune idée de ce dont il va être question ?
- Non. Pas du tout..."
Le silence se fait soudain dans la grande salle. Victoria II du Royaume-Uni vient d'entrer. Son attitude est glaciale, comme à son habitude, et elle est vêtue avec tout l'apparat possible : longue robe noire et diadème incrusté de diamants. Comme si elle voulait nous faire sentir la distance qui se trouve entre elle et nous.
Alors qu'elle nous balaie d'un regard à la fois inquisiteur et méprisant, nous retenons notre souffle. Aucune d'entre nous ne souhaite attirer sa désapprobation. Puis la voix de la reine se fait entendre, claire et forte :
« Mesdemoiselles, si je me déplace ce soir pour vous rencontrer, c'est pour vous faire part d'une décision importante concernant l'avenir de la princesse Margaret. »
Mes sœurs et moi nous regardons. Des hypothèses fusent dans ma tête. Allons-nous déménager ? Récemment, plusieurs articles se sont étonnés du fait que Margaret ne s'installe pas dans sa propre demeure. Ou bien la reine a-t-elle décidé d'ajouter une nouvelle compétence à l'arsenal dont sa petite-fille dispose déjà, ce qui impliquerait davantage de travail pour nous ? Elle met rapidement fin au suspense en nous annonçant :
« La princesse est majeure depuis quelques mois maintenant. Etant donné qu'elle est enfant unique, comme l'est le prince Richard, il est urgent de régler au plus vite la question de sa descendance afin de montrer au peuple que la succession est assurée. Notre famille royale doit lui sembler stable et inébranlable. Margaret devrait donc se marier et concevoir des enfants dans un futur proche. Le jeune comte James d'Essex est à mon avis le meilleur candidat aux noces."
Je reste sidérée devant la manière dont Victoria II traite parle du mariage à venir de Margaret. Il n'y a pas de place pour les sentiments dans son discours : la seule chose qu'elle prend en compte, c'est la politique. Et elle attend de nous, les clones, que nous sacrifions également notre vie sur l'autel du devoir.
Mais le contraste entre ses paroles glaçantes de rationalité et l'émotion de Jane lorsqu'elle me parlait d'Eliott tout à l'heure me paraît grinçant. Ne va-t-elle pas trop loin en franchissant cette nouvelle étape dans la mise en scène de la vie de Margaret ?
Je soupire. Il est inutile de me poser ce genre de questions. Victoria II décide seule de l'avenir de la princesse, sans que nous ayons notre mot à dire : il en a toujours été ainsi, et cela ne changera jamais. Inutile d'essayer de protester : elle ne nous laisserait jamais mettre en péril l'image parfaite de la famille royale qu'elle s'est efforcée de construire et de consolider année après année. Si une clone osait essayer de se rebeller, elle s'exposerait à des représailles terribles, c'est certain.
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Royales [Sous contrat d'édition]
AventuraMargaret est la princesse parfaite, adorée de tous les Anglais. Généreuse, intelligente, polyglotte, cavalière émérite, menant de front des études de littérature, de politique et d'histoire par correspondance... Son secret ? Margaret n'existe pas vr...