Chapitre 10

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J'entends le brouhaha de la foule dans la pièce adjacente à celle dans laquelle je me trouve. Je rejette ma tête en arrière et étire mon cou. Dans quelques secondes, je vais devoir affronter les journalistes. Monter sur scène. Prononcer mon discours.

Un employé du palais me fait un signe. Il faut que j'y aille, maintenant.

C'est sans trembler ni vaciller que je marche vers la pièce d'à côté. Mon port est altier. Mon corps entier exprime ma condition de princesse : je me tiens plus droite que n'importe laquelle des autres personnes présentes, chacun de mes mouvements est effectué à la vitesse parfaite pour paraître calculé sans être hésitant... Je dois remercier mon long entraînement dans le bunker pour ce degré de maîtrise.

Je m'immobilise derrière le micro qui a été installé à mon intention. Je parcours l'assistance du regard. La plupart des visages me sont connus. Les journalistes devant, la noblesse derrière. Tous les yeux sont braqués sur moi. Le silence s'est fait naturellement, sans que quiconque ait besoin de l'exiger.

Tel est le pouvoir de fascination qu'exerce Margaret sur son peuple.

Les dix minutes suivantes s'écoulent sans aucune difficulté. Je déroule le fil du discours que j'ai soigneusement préparé. Je parle de l'attachement de la couronne anglaise aux arts et à la littérature en particulier, de ma joie de présider une nouvelle fois le Prix, de la difficulté que j'ai – soi-disant – eue à choisir les membres du jury... Je ne révèle pas le nom de ces derniers, cependant : traditionnellement, cela conclut la conférence de presse. Les questions viennent d'abord. Et ça, c'est la partie barbante.

Parce que, quoi que je dise, quel que soit l'événement, les questions sont toujours les mêmes. Les journalistes ne cherchent pas réellement à connaître Margaret, mais à l'enfermer dans une image figée... Ce que la reine souhaite également, cela dit.

C'est parti pour l'interrogatoire... Mes réponses fusent, aussi automatiques que les questions qui me sont posées.

« Votre Altesse, comment trouvez-vous le temps de lire en plus des innombrables obligations qui sont les vôtres ?

- Je suis très organisée. Et la littérature me passionne, alors j'arrive à la caser dans mon emploi du temps.

- Votre Altesse, d'après nos sources, vous lisez beaucoup de romances en ce moment. Est-ce un signe que des fiançailles sont à attendre prochainement à Buckingham Palace ?

- Vous devriez vous inquiéter de la fiabilité de vos sources : je lis tous types de livres.

- Votre Altesse, pourquoi un Prix de Littérature plutôt qu'un Prix des YouTubeurs ?

- Vous savez combien cet art m'est cher, tout comme il l'était à mon regretté grand-père, auquel ce Prix rend hommage.

- Votre Altesse, les romans sélectionnés pour le Prix depuis que vous le présidez sont majoritairement des œuvres longues, avec des passages très réflexifs des personnages principaux, à contre-courant de la mode des novellas d'une centaine de pages qui s'est imposée au cours des vingt dernières années. Cela résulte-t-il d'une volonté consciente de votre part et si oui, pourquoi ce choix ? »

Mes sourcils se haussent de surprise. Une question intéressante et concernant réellement la littérature, est-ce possible ? J'observe le journaliste qui l'a posée : je ne le connais pas. Il m'a l'air très jeune : il a tout au plus une vingtaine d'années. Il est pourtant assis au premier rang, d'habitude monopolisé par les éléphants de la presse. Ses cheveux un peu trop longs et indisciplinés sont du même noir que son costume, qui souligne sa silhouette dégingandée. Il tient à la main un carnet et un stylo, à l'ancienne, et ses yeux verts sont braqués sur moi, dans l'attente de ma réponse.

Royales [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant