Chapitre 5

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En voyant Jane entrer dans l'antichambre, ma première réaction est la méfiance. Veut-elle essayer de prendre ma place pour sortir du bunker ? L'enfermement donne parfois de drôles d'idées à certaines de mes sœurs. Et Jane serait sans aucun doute capable de me maîtriser : se battre est sa spécialité... Et ses connaissances sont loin d'être simplement théoriques. Elle est déjà passée à l'action plusieurs fois lors de sorties de Margaret dans des zones à risques. Des épisodes bien entendu étouffés par Victoria II, soucieuse de ne pas ternir l'image de la princesse par son association à ces divers événements malheureux.

Je lui lance :

"Qu'est-ce que tu fais là, Jane ?"

Ma tension doit être palpable, car elle lève les mains en signe d'apaisement et me dit :

"Calme-toi, May. Je ne te veux aucun mal."

Elle me sourit, et je me sens coupable de l'avoir soupçonnée de me vouloir du mal. Il faut croire que la pression me monte à la tête à moi aussi...

Toutefois, même animée des meilleures intentions du monde, Jane n'est pas censée se trouver là. Lisant l'interrogation muette dans mes yeux, ma sœur m'explique :

"J'étais assise à la table la plus proche de la porte. J'ai attendu que la gouvernante Seymour regarde ailleurs pour foncer. J'ai de bons réflexes.

- Et le garde ?

- Je lui ai dit que la gouvernante avait des instructions de dernière minute à te donner, mais qu'elle avait dû m'envoyer à sa place parce qu'elle était retenue par une autre tâche."

Astucieux. Mais cela ne m'étonne pas de Jane : elle a toujours su trouver des solutions étonnement simples à des problèmes en apparence complexes. Et rapidement, de surcroît. Cette capacité à prendre des décisions efficaces rapidement lui a valu d'être notre préposée à la défense.

Mais en ce moment, elle ne montre pas son assurance habituelle. Je ressens chez elle de l'angoisse, au point que je me demande un instant si c'est bien Jane que j'ai en face de moi. D'une voix un peu étranglée, elle poursuit :

"J'avais besoin de te parler avant que tu ne montes à la surface, May. J'ai besoin de ton aide.

- Tu veux que j'essaie de te ramener quelque chose ?"

C'est un service que nous nous rendons souvent entre nous. Ce dont nous disposons dans le bunker est assez limité, et la clone qui joue le rôle de la princesse tente parfois de prendre des objets dans le palais pour les descendre dans notre complexe, afin d'agrémenter l'ordinaire. Mais Jane secoue la tête :

"Non, ce n'est pas de cela qu'il s'agit."

Elle prend une grande inspiration puis déclare :

"Voilà... J'ai rencontré quelqu'un."

J'ouvre la bouche, interloquée. Je sais ce que sont les histoires d'amour, bien sûr : les livres que je dois étudier en regorgent. Mais je pensais que cette expérience était interdite à nous, les clones de la princesse. Nous passons la majeure partie de notre existence sous terre, loin des jeunes hommes que nous pourrions aimer, et les rares moments que nous vivons à la surface sont étroitement encadrés et surveillés.

Je bredouille :

"Comment as-tu... ?"

Jane rougit légèrement et m'explique :

« La dernière fois que je suis montée à la surface, pour l'inauguration de la nouvelle ligne de métro Londres-Brighton, on ne m'a pas rappelée immédiatement à l'intérieur du bunker après ma mission, alors j'en ai profité pour faire un tour dans le palais. Dans l'un des salons de réception, je suis tombée sur un jeune homme carrément canon en train de prendre des mesures de la pièce. J'ai engagé la conversation avec lui : il m'a dit qu'il s'appelait Eliott, qu'il était architecte d'intérieur, et qu'il avait été embauché au palais pour une mission de trois mois afin de redécorer une partie de l'aile ouest. Sa spécialité, ce sont les tapisseries numériques : tu sais, Madeline nous en a parlé récemment. »

Royales [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant