Chapitre 8

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On est assis contre un arbre dans la forêt, il est 14h, et pour la première fois de ma vie, je m'apprête à raconter mon histoire, toutes ces choses qui ont fait de ma vie un cauchemar.

- Je veux comprendre...
Je soupire et me décide à lui raconter.
- Ma vie a commencé à partir en vrille quand j'ai eu 6 ans. Avant ça, j'avais le cliché d'une vie parfaite, j'aimais mes parents et ils m'aimaient, du moins je crois. J'avais un frère aussi. Il était extraordinaire. Je n'ai jamais retrouvé une personne aussi attentionnée et généreuse qu'il l'était, toujours prêt à jouer des tours et s'éclater. On était inséparable. Et puis, ils sont morts. Enfin, on n'a jamais retrouvé leurs corps, alors ils ont plutôt disparu. Mais je préfère croire qu'ils sont morts, si non, ça voudrait dire qu'ils m'ont abandonné ... J'avais 6 ans, et je n'avais déjà plus goût à la vie. Je suis restée un an dans un orphelinat. On ne peut pas vraiment dire que c'était la joie. Les dirigeants n'étaient pas ce qu'on peut appeler des personnes gentilles, mais ça aurait pu être pire. Entre orphelins on s'entraidait, on essayait de se faire sourire. Mais on savait tous que, on fond, on se forçait. Il y a même eu un suicide. Un garçon sympa avec tout le monde, toujours de bonne humeur. À l'instant même où on a appris sa mort, on a compris que même ceux qui semblent aimer la vie, qui semblent les plus forts, peuvent être les plus tristes et les plus mal sans que personne ne s'en rende compte. J'ai compris que la vie ne fait pas de cadeaux. Jusqu'à un certain âge, j'ai considéré la vie comme de la merde, faite seulement de favoritisme. Soit belle, soit horrible. Je persistais à croire que l'entre deux n'existais pas. Mais j'ai compris que, souvent en tout cas, chacun a droit à un miracle. Bref, après un an, j'ai été adoptée. Ils avaient l'air sympa, au premier regard, et j'ai cru que mon tour était venu. Mon miracle je veux dire. Mais j'ai vite compris que leur apparence était vraiment très trompeuse. Pendant toutes les années que j'ai dû vivre en leur compagnie, ils m'ont plus considéré comme leur punching-ball que comme leur fille. Trouvant sans arrêt, la plus minuscule raison de me taper dessus. À l'école, personne n'osait m'approcher. D'abord parce que j'étais seule, je n'étais jamais souriante et je ne riais jamais. J'avais mes raisons, mais les autres, ne les connaissant pas, devaient penser que j'étais née comme ça ; de mauvaise humeur. Et à quoi bon se trimballer le fardeau que j'étais. La seconde raison qui faisait que les autres élèves ne m'approchaient pas, c'est parce que Léa faisait comprendre à tout le monde que je ne méritais pas d'avoir des amis. Et, en bons idiots qu'ils étaient, ils l'ont crue. Et certains se sont mis à me faire chier pour le plaisir. Quoi de mieux pour tomber en dépression. Mais au bout d'un an, une fille, aimée de tous, et qui elle n'était pas idiote, est venue me parler. On a vite sympathisé. Elle était géniale. À l'écoute, généreuse et elle avait le rire le plus communicatif de toute la planète. On est devenue les meilleures amies du monde.

Je marque une pause et souris à ce souvenir, aussi douloureux soit-il. Je tourne la tête vers Dylan, car oui, tout en racontant, je fixais des feuilles. Il me sourit, m'encourageant à continuer. Et la suite nous fit perdre notre sourire à tous les deux.
- Et puis, elle est morte, sous mes yeux. Quelqu'un lui a tiré dessus. Je n'ai jamais su qui c'était, ni pourquoi il l'a tuée, mais je me suis jurée que, même si je ne crois pas en être capable, je le retrouverais et je la vengerais.

Ma voix se brise et les larmes commencent à me monter aux yeux, mais je continue malgré tout. J'en ai besoin.
- Depuis, chaque nuit je me réveille dans un état atroce. Ce souvenir me hante, et je culpabilise. Et ma nouvelle famille n'arrange pas les choses. J'ai toutes les raisons du monde pour me suicider, mais je n'y arrive pas. Quelque chose m'a toujours retenue. Quoi ? Je n'en sais rien. Peut-être pour mes parents biologiques ou mon frère, qui auraient voulu que je continue à vivre. Ou parce que je veux continuer à croire aux miracles. En tout cas, je n'y arrive pas.

Je reprends ma respiration, ayant parlé d'une traite, avant d'ajouter ;
- Depuis mes 6 ans, je suis morte intérieurement.

Je fixe la forêt devant moi, les larmes me brouillant la vue. Je n'arrive pas à croire que je viens de tout déballer, de confier à quelqu'un absolument tout ce qui a fait de ma vie un enfer.
Je n'ose pas le regarder. Ce garçon qui a réussi à avoir ma confiance en quelques semaines. Malgré tout, je me tourne vers lui. Il fixe lui aussi la forêt. Il se tourne à son tour vers moi et me sourit. C'est la première fois que quelqu'un ne me regarde pas avec pitié. Évidemment, vous vous doutez qu'il y a tout de même de la tristesse dans son regard, rien de plus humain. Mais aucune once de pitié, de peur ou quoi que ce soit. Car oui, les gens ont peur de moi, de mes parents.
Il brise le silence.
- Tu sais ce que je crois ? Je crois que tu es la personne la plus courageuse, que je n'ai jamais rencontrée. Tu as vécu en quelques années ce que n'importe qui vivrait en une vie entière. Et pas beaucoup de choses positives. Pourtant tu es toujours là. Tu survis, et je t'admire pour ça. Tu es différente, et je veux te faire revivre.

Cette dernière phrase me resta dans la tête, refusant de sortir, pendant que je le fixais. Personne n'avait jamais voulu tant m'aider et encore moins admiré. Pour moi, le plus différent de nous deux, c'est lui.

Fais-moi revivre (Dylan O'Brien)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant