La déception a un goût âpre

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Donovan était attablée à la petite table de bois, son café désormais refroidi reposant devant lui. D'un geste las, il écrasa sa cigarette dans le cendrier posé à côté de lui. Il but d'une traite sa tasse et trouva au café un goût plus amer que d'habitude. Il se leva puis réalisa qu'il était déjà en retard. Il monta avec sa nonchalance caractéristique les escaliers et se revêtit d'un sweat gris et d'un jean. Il enfila ses baskets sans prendre la peine de faire ses lacets et partit de chez lui en prenant soin de ne pas claquer la porte pour ne pas réveiller sa mère qui dormait encore. Il ne savait pas avec quelle force il avait réussi à se tirer de son lit ce matin. Le ciel était trop gris et la vie trop fade. Il s'accrochait à des petits bouts de bonne humeur pour continuer de se lever chaque matin et d'affronter la journée. Il enfile son masque de « bad boy », et ainsi les journées passent, s'entassent dans une monotonie déprimante.

Il arriva au lycée et évita la bande d'amis insipides qu'il s'était créé. Trainer avec eux n'avait aucun intérêt. Rien n'avait d'intérêt ce jour-là de toute façon. La veille, quand Maya lui avait fermé la porte, il s'était senti rejeté, encore une fois. Et ça lui avait fait un coup, comme lorsque tu marches tranquillement dans la rue et que tout à coup tu te prends un poteau en pleine tête. Il avait réalisé que s'il s'était senti abandonné, c'était parce qu'au fond de lui il avait l'impression que c'était à leur groupe qu'il appartenait, et pas à toutes ses bêtises de popularité et de garçons cool. Seulement, ni Maya, ni Thomas ne souhaitait lui parler. Encore une fois, il avait détruit ce qui lui était précieux rien qu'en le frôlant. C'était toujours comme ça.

Il arriva au niveau du casier de Thomas. Il y glissa un papier puis partit.

Destructeur et menteur. Voilà ce qu'il était. Un lâche, quelqu'un qu'on n'aime pas regarder dans les yeux. Quelqu'un qui ne peut pas se regarder en face.

Il cherchait l'amour qu'il n'arrivait pas à se donner chez les autres. Mais même ça, c'était trop. Alors il détruisait cet amour en gâchant tout.

C'était la technique de défense d'un cœur brûlant. Il ne voulait pas qu'on l'approche pour que ceux qu'il aime ne finissent pas en cendres.


Elle l'aimait. Elle le détestait. Elle l'aimait, mais elle le détestait. Elle le détestait mais elle l'aimait. Son amour était assez fort pour qu'elle ait l'envie de venir vers lui, mais sa haine assez puissante pour qu'elle puisse résister. Devant elle, au fond d'un couloir bondé, Donovan lui jetait un regard suppliant. Elle essaya de le soutenir, les sourcils froncés, mais tout d'un coup les forces la quittèrent et elle dû s'agripper à la main de Thomas.

- Viens, on y va.

Ils bifurquèrent rapidement, sans un mot. Elle lui jeta discrètement un regard en coin. Du violet s'étalait autours de son œil et une cicatrice se formait sur sa lèvre. Triste tableau. Thomas se stoppa et ouvrit son casier. Une feuille tomba lentement à ses pieds. Il la ramassa et lut :

Pardon, ce n'est pas un mot qui sort facilement de ma bouche. D'habitude, je ferme les yeux et je fais comme si je ne voyais rien. Mon égo me souffle que je vais bien, que ça ne me fais rien. Mais cette fois-ci quelque chose me pousse à te le dire, pardon. Putain, je sais à quel point je suis nul. Je sais très bien que je ne vaux rien. Et puis dans le fond, tu ferais mieux de ne pas me pardonner, ça irait bien mieux pour toi.

Mais voilà, il y a cette chose qui me pousse à te demander pardon. A te demander si on pourrait se remettre à trainer ensemble, comme avant.

Quelque chose qui me pousse à te dire que oui, je fais des erreurs, mais que je me corrigerais. Que j'apprendrais à être quelqu'un de bien pour vous.

Ouais, je ne tiendrais sûrement pas ma promesse, comme d'habitude.

Je n'arrive pas à être quelqu'un de juste, de droit. Tu dois sûrement te dire en lisant ses mots que ce ne sont que des paroles en l'air. Permets-moi de te contredire. Je ne sais pas ce que l'avenir nous réserve, ni comment ça va se passer, alors je préfère ne rien te promettre du tout.

Mais mon pardon est sincère, et mes remords le sont aussi.

-D.

Ils regardèrent longuement le petit bout de papier, si insignifiant et pourtant si important. Maya fut tentée d'attraper le mot et de le déchirer en petits morceaux, mais à la place elle resta figée, comme le temps autours d'eux.

Finalement, Thomas plia soigneusement le mot en quatre, puis le glissa dans la poche intérieure de sa veste, prêt de son cœur.

L'entrainement de rugby terminé, Maya s'assit dans les gradins, laissant l'air froid lui chatouiller les joues. Elle poussa un soupir et regarda la nuit apparaître petit à petit. Elle était fatiguée, trop fatiguée pour se lever et rentrer chez elle. Elle préférait rester assise et laisser la nuit l'engloutir. Des pensées noirs la heurtèrent. La déception, la colère, la tristesse, se mélangèrent dans son cœur. Une personne vint s'asseoir à côté d'elle. Elle n'eut pas le courage de la repousser. Elle resta assise, sans dire un mot, tandis que l'imposante silhouette à côté d'elle faisait de même.

- Je suis désolé.

Elle ne répondit rien et continua de fixer l'horizon.

Le garçon soupira.

- Thomas n'est pas là ?

- On se demande pourquoi il n'a pas le moral pour se balader seul la nuit. Fit-elle remarquer avec sécheresse.

Il y eut un temps de silence.

- Si je pouvais retourner en arrière, je le ferais. Mais je ne peux pas.

Il s'avachit sur le siège et croisa ses bras derrière sa tête.

- Des fois, j'aime m'imaginer que je peux changer le monde. Que je suis capable de grandes choses, que je suis libre, et que je peux faire ce que je veux. Continua-t-il.

Il éclate d'un rire profondément triste.

- Mais ce n'est que dans mon imagination. Je suis prisonnier de ma propre personnalité.

- Tu n'es pas le seul à ressentir ça. Répondit-elle d'un ton plat, sans lui adresser un regard. Parfois j'aimerais arrêter d'avoir peur des gens. De pouvoir aller tranquillement vers eux, de m'ouvrir aux autres. D'arrêter d'être invisible.

Il sortit une cigarette et l'alluma.

- Dans le fond, on est juste des enfants qui veulent changer le monde. Sauf qu'on s'y prend mal.

Elle se tourna enfin vers lui et planta son regard dans le sien.

- Ce n'est pas si facile Donovan ! Tu ne peux pas venir comme ça avec tes belles paroles et effacer ce que tu as fait. Ce n'est pas comme ça que ça marche. Tu nous as fait de la peine.

Il ferma les yeux et un sourire songeur apparut sur ses lèvres.

- Ce serait tellement moins compliqué si on faisait semblant de n'avoir rien vu. On peut continuer longtemps comme ça, à faire semblant de ne pas s'apprécier. C'est comme tu veux. Tu peux retourner à la table des gens invisibles et moi celle réservée au Bad Boy insipide qui ne défend pas ses amis. On pourra faire comme si rien n'avait existé. Comme si on ne ressentait rien, et on redeviendra les robots vides qu'on a toujours été. On a qu'à fermer les yeux sur ce qu'on est vraiment.

Et elle le regarda, si beau à la lumière des lampadaires, et fut partagée entre l'envie de l'embrasser et celle de le frapper.

- Je ne sais pas trop quoi penser. Avoua-t-elle.

Il se leva, sourit et se tourna vers elle en lui tendant la main.

- Mademoiselle, il fait noir, laissez-moi marcher à vos côtés dans l'obscurité.

Alors elle attrapa sa main.


Les yeux fermésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant