1 : Mara

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     Engourdie, j'observe les lycéens un par un, installée sur un banc en plastique bancal.

     La banlieue s'emplit d'un flot de voitures et d'odeurs d'essence, comme chaque jour à la sortie des cours. Les tours aux façades grises et blanches se dressent devant un pâle coucher de soleil. Entre les rues d'une morosité plus étouffante que les embouteillages des antiquités du quartier évoluent machinalement petits vieux et délinquants.

      Alors que je commence à connaître de tête les détails les plus insignifiants de la place, j'aperçois le scooter dont l'âge doit pouvoir se compter aux nombres de zébrures sur sa carrosserie noire. Enfin.

     - Tu montes ?

     Il regarde une fille passer, comme s'il ne venait pas de m'adresser la parole. J'ai dû rêver. Je prend tout mon temps, allant jusqu'à plier mes écouteurs le plus soigneusement possible. J'ai à peine posé mes fesses sur le siège passager qu'il démarre en trombe. Je soulève mes pieds de justesse_ je tiens à mes orteils et à ma dernière paire de tennis.

      Je ne l'engueule pas. Je ne le méprise même plus. A quoi bon ? Il n'est plus mon frère. Kevin, lui, était cet enfant qui m'accompagnait jusqu'à la cuisine pour les expéditions grignotis, qui glissait les paquets de chips au vinaigre dans sa taie d'oreiller pour étouffer le bruit. Celui qui courait après le soleil sur la plage, chaque été, du temps ou papa était encore là pour veiller sur nous et nos sourires. Il disait qu'une personne qui ne sourit pas au moins une fois par jour peut tomber en dépression. Papa était celui qui nous faisait croire en la vie et au bonheur.

      Pour ma part, ça fait un moment que j'ai arrêté de vivre. «Métro-boulot-dodo» comme on dit. Je ne parle à personne, je survis. Pour maman, pour Kevin.

Hina et la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant