Hina et la Lune

10 : Hina

     - Aïe !

     Une fois de plus, l'aiguille disparaît dans le sable. Je ne suis qu'à la moitié de ma robe, et voilà que je viens de perdre ma dernière aiguille. Nateo va encore se sentir obligé de me faire la morale. Alors que pour moi, aucun doute. C'est de sa faute ! S'il ne me laissait pas constamment toute seule, je n'aurais pas autant les nerfs en boule, et j'aurais la patience nécessaire pour me fabriquer moi-même des vêtements. Même si je déteste la couture... Je replie mes genoux contre ma poitrine en drapant l'ouvrage inachevé sur mes épaules. Mon doigt blessé a laissé une trace de sang sur ma cuisse plus blanche que celle d'un fantôme. Un froissement d'ailes se fait entendre au-dessus de ma tête. L'oiseau se pose sur la cime des rochers et nous échangeons un long regard. Sa petite tête change d'angle plusieurs fois par seconde. Les nuages laissent place aux constellations préférées de mon grand frère. Alors peu à peu, le calme me revient. Et je trouve une solution à mon problème. Lentement, je suis le chemin du fil bleu ciel dans le sable, et parvient à retrouver l'aiguille en moins d'une minute. Au moins mon frère n'aura pas de raison d'être sur mon dos, ce soir. J'ai même terminé ma rédaction pour Fateata.

     Comme moi, la vieille étrangère semble avoir de plus en plus envie de me rencontrer. Ses appréciations prennent presque une demi-page sur mes copies. J'ai l'impression que les sujets sont plus pour elle un moyen de communiquer qu'un véritable exercice. Après tout, Nateo ne fait plus de rédactions depuis la troisième. J'ai donc pris une décision : j'entame officiellement une correspondance avec mon aïeule. J'ai énormément de questions à lui poser, et je suis persuadée qu'elle seule voudra bien me raconter. Me raconter ma mère. Évidemment, je ne lui ai pas tout déballé dans la première lettre. Cette dernière représente davantage un test, une mise en confiance, qu'un questionnaire avec le nombre de pointillés réglementaire pour écrire les réponses. Je la remercie, également, pour le temps qu'elle consacre à mon éducation, même à distance. Non pas que les cours me passionnent, à part la biologie et le français, mais si elle ne s'y était pas collée, je serais encore analphabète d'ici dix ans. Bizarrement, quand on est élevée par des hommes et que votre vie est destinée à l'isolement sur une crique, ce ne sont pas ces dits hommes qui vous encourageront à vous instruire. La bienveillance malsaine, ça existe.

     Le vent enjôleur vient chatouiller mes cuisses. Je m'approche de l'eau avec un désir puissant de m'y fondre éternellement. J'ai beau être sans compagnie humaine, je me sens comme observée, veillée par la vie animale et végétale, depuis ma naissance. Le ciel apaisé surplombe un océan inquiet, frétillant d'angoisses.