6 : Mara

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     Le balcon de la cuisine donne sur la place du marché. Là bas c'est le chaos.

     Non ! Inspirer. Respirer. Recommencer.

      Bordant la place, là, la vieille Ford. Un homme, arme en main, monte par le coté passager avec précipitation. Au milieu de la place gît un corps.

     C'est une illusion, ce n'est pas réel.

      Le moteur rugit, et la voiture bleu nuit disparaît en laissant derrière elle un nuage de fumée. Ce ne sont que des images qui s'enchaînent. Le vendeur de la supérette se dandine jusqu'au cadavre, place sa main sur sa gorge.

     Je n'en vois pas plus. Ma vue se brouille, mes jambes se plient d'elles-mêmes. Je me réveille sur le canapé. L'appartement est vide. Je le sais alors que je suis toujours allongée. Je dois sortir. Je dois suivre mon frère.

     Je titube, pieds nus, jusqu'à la porte d'entrée restée ouverte. Je suis un automate. Mon ventre n'est plus qu'un trou immense, j'ai envie de vomir. Je suis dehors, mes jambes enchaînent, et je suis à l'autre bout de la rue. Mon frère est couché sur le corps d'une femme qui a l'âge de ma mère, qui a ses cheveux, son teint pâle, ses vêtements. Mais ce n'est pas elle. Maman est dans sa chambre, elle fait des mots croisés avec sa tisane Relaxation et bien être. Ses cheveux à elle sont enveloppés dans une serviette rose pâle, ses jambes minces sont croisées sur son lit. Elle n'a pas entendu le drame. Elle sourit, reposée, détendue, avec l'expression que son visage prenait quand papa l'embrassait.

     Je ne crois pas que je pourrais surmonter ça. J'imagine une maison qui vient de perdre son dernier pilier. Elle s'écroule et des tonnes de pierres s'éclatent sur le sol en un fracas théâtral. C'est ça que je ressens. Kévin ne quitte plus le torse de maman. Je ne veux pas l'en détacher. Le marchand s'approche de lui, les mains en avant. Je fonce sur lui et le repousse, très fort. Je veux qu'il s'en aille, loin, mais il ne recule que d'un mètre à peine. Il me prend dans ses bras. Je me rend compte que je pleure. Je sanglotte, mes épaules tremblent, je hurle et je gémis, puis je réalise que c'est mon frère qui m'a rattrapée sur le balcon, lui qui m'a porté jusque dans le salon, au lieu de me gifler pour l'avoir abandonné la seule fois ou il avait vraiment besoin de soutien.

Hina et la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant