Hina et la Lune

11 : Mara

Je me réveille et découvre un monde à l'opposé du mien. Je ne sais plus quel jour nous sommes, mais l'après-midi est déjà entamé. Je suis dans une chambre digne de celle d'une princesse. J'ai dormi dans un immense lit en bois à baldaquins. La décoration est exquise, mélangeant des teintes parmes, blanches et roses. Des rideaux à dentelle se soulèvent d'eux-même, laissant entrer la clarté éblouissante du dehors. Pourquoi reste-tu enfermée ?

« Où suis-je ?» . Je m'approche pour fermer la fenêtre. C'est une maison, le jardin est démesuré et la vue splendide. Je me trouve au deuxième étage. Au loin, de somptueuses montagnes vertes s'élèvent derrière une forêt tropicale de quelques kilomètres de superficie. Finalement je m'accoude à la fenêtre au style colonial. Au pied de la villa trône une cabane exotique, sur pilotis, avec à ses cotés un cocotier, un hamac et tout le toutim. « Qu'est-ce que je fiche ici ? ». Il y a même une femme qui jardine au bout de la pelouse, dans un potager de la taille de mon appartement. Elle porte un chapeau de paille et a la peau mate, mais je ne la vois pas bien, de là où je suis elle n'est pas plus grande qu'un moineau.

- Mara, tu-tu es levée ?

Je me retourne. Kevin. Kevin ? Il est là lui aussi ? « Mais dis moi ce qui se passe au lieu de me regarder comme ça ! ». Il a l'air tellement inquiet que je vérifie que des cornes ne m'ont pas poussé sur la tête pendant la nuit. Je me tourne vers une coiffeuse encombrée de produits de beauté. À part les cernes, le teint pâle et les cheveux ternes, mon reflet semble en parfaite santé. Mon frère n'a pas plus fière allure que moi. Décoiffé et hébété, il se gratte la nuque en baillant. Voyant qu'il ne trouve rien d'autre à dire, je décide d'explorer le reste de la maison. Je le contourne et tombe sur un couloir, tout en parquet ciré et escalier de bois massif. Je ne comprend toujours pas la raison de notre présence ici, mais mon corps se dirige lui même vers une porte qui fait face à la chambre de princesse. Ici un lit aux draps vert pomme, et tout un mobilier « zenifiant » . J'inspecte chaque recoin de la demeure pendant une bonne demi heure. Deuxième étage : deux chambres, deux salles de bain, un dressing impressionnant. Premier étage : une troisième salle de bain _ pourquoi ne prend-tu pas soin de toi ? _ , une chambre au style très neutre, qui doit servir aux invités. Kevin y a passé la nuit : la couverture est complètement éparpillée, sa valise ouverte est glissée négligemment sous une armoire. Rez de chaussée : une petite cuisine à la fois moderne et conviviale, un salon immense (sans télévision!), et une quatrième salle de bain. Viens, viens faire un brin de toilette , il y a même une radio dans cette douche ! Je me laisse donc tenter et profite de la chaleur de l'eau et du gel douche au parfum grenade et melon. Mais je ne comprend rien à ce robinet et je couine sous un jet d'eau glacée. C'est comme une décharge électrique, et tout me revient.

La pluie ! La pluie battante s'immisce en moi, dégouline dans mes vêtements. Je cours encore et encore. Mes pieds sont de plus en plus gluants. Le béton les maltraite, j'ai si peur de glisser, mais plus rien ne m'arrête. J'arrive au bord d'un trottoir. La voiture de maman tourne au bout de la rue en zigzaguant. Sur la place, il y a quelque chose par terre. Le marchand est debout, il s'approche des deux personnes entrelacées sur le sol. C'est mon frère, ma mère lui touche la joue, lui souffle une dernière phrase avant de fermer les yeux. Je crois que Kevin pleure, mais je ne suis pas sûre avec toute cette eau qui tombe. C'est bien la première fois que je le vois dans cet état.

Je me souviens ! L'enterrement, Freddo, la nuit au foyer. Kevin était tout le temps sur mon dos. Et puis la journée dans l'avion. Il y avait un autre homme à côté de moi, Ernest, trop sûr de lui, presque dragueur. Nantes/Paris. Paris/Tahiti. Et sur l'aéroport, un petit avion et son pilote embarrassé et passionné à la fois. Un Lanvin, comme papa, comme moi et Kevin. J'ai vraiment un oncle pilote ! Je crois que je me suis endormie sur l'épaule de mon petit frère. Il était si tendu que j'en ai encore mal au cou.