Ce samedi matin, c'est ma seule journée de repos et je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. À neuves heures à peine, je suis debout. J'enfile ma chemise préférée, en jean et ample, que je porte toujours ouverte par dessus mon tee-shirt blanc et mon bermuda noir. Je descend dans la cuisine, bercé par le frottement de mes tongs sur le parquet. Keona a laissé la lumière allumée dans le couloir et la salle de bain du rez de chaussée, une fois de plus. J'appuie sur les interrupteurs sans état d'âme puis prépare le petit déjeuner, la tête encore vaseuse. Un thé pour Graïda, un jus de fruit et un yaourt pour ma fille, un café au lait pour moi. La cafetière gargouille tandis que je regarde par la fenêtre en baillant, avachi sur le vieux tabouret. Le ciel est chargé de nuages blanc gris déprimants. J'entends des bruits de pas derrière moi, une démarche légère et dansante.
- Salut, Papounet !
L'adolescente contourne la table pour me faire face. Son sourire enthousiaste s'évanouit quand elle voit mon teint pâle et mes cernes
- Je vois que tu as bien dormi... Au fait, j'ai installé un deuxième lit dans ma chambre, pour Mara !
Elle attrape le sucre, me sert un café, ajoute un nuage de lait avec tendresse. La dernière fois que ma fille a agi de cette façon, son petit ami venait d'emboutir ma camionnette.
- Keona, on en a déjà parlé... Ces jeunes ont besoin de temps et de tranquillité. Ta cousine n'aura pas comme priorité de sympathiser avant un bon moment...
- Je sais bien, je pense juste qu'elle préférera partager une chambre avec moi plutôt qu'avec son frère, continue-t-elle tout en posant délicatement mon bol fumant sur la table. Tu veux des tartines ?
- Non merci, je ne sais même pas si je pourrais avaler ça, je n'ai vraiment pas faim.
Elle hausse discrètement les sourcils. C'est vrai que la plupart du temps, je ne suis jamais le dernier à m'empiffrer. Mais dès que je suis confronté au moindre stress, je perd l'appétit. J'angoisse, à cause de l'entrain débordant de ma fille qui a souvent été source de catastrophes, et à cause de ma peur de ne pas savoir m'y prendre avec les nouveaux venus.
Ça fait un moment que je ne dis plus rien, les yeux plongés dans mon bol. Toute mon attention est centrée sur le tintement que fait la cuillère, qui tournoie inlassablement dans le liquide devenu froid. Ma fille a un petit rire attendri, et je sursaute lorsqu'elle embrasse mon front. Elle s'est parfumée. Je crois que je commence à comprendre pourquoi elle est passée en mode lèche-bottes, même si je sais pertinemment qu'elle obtiendra ce qu'elle voudra.
- Dis moi Papa, ça va faire une semaine que je ne suis pas sortie, et Sydney fait une soirée dans l'hôtel de ses parents ce soir... ?
Il faut que j'essaye de gagner du temps, je ne peux quand même pas accepter si facilement !
- Ce soir... Je ne sais pas trop ma chérie, ça fait beaucoup pour un week-end, avec tes cousins. Et ça m'étonnerait que ta mère accepte.
Elle soupire, et se met à tricoter une mèche de ses cheveux noirs. Elle prend un air résigné tout en sachant que ma décision n'a rien de définitif.
- Eh bien justement, comme ça Mara pourra passer une nuit sans personne pour la gêner, ça lui ferait une étape. Ils devront déjà faire connaissance avec toi, maman, et la maison, déclare-t-elle. Exubérante, elle lève les yeux au ciel et ponctue chaque phrase en rejetant les mains par dessus l'épaule.
La petite peste a préparé tous ses arguments. Je bois une gorgée de mon café au lait pour la faire patienter. Je suis sur le point de céder quand soudain mon épouse fait son entrée. Je la soupçonne d'avoir tout entendu, car elle me jette un de ses regards contrariés. Mais ce matin, je n'ai pas la force de lutter, alors quand celle-ci ne montre aucune intention de prendre la parole...
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Hina et la Lune
General FictionMara et Kevin, lycéens, vivent dans une banlieue avec leur mère. Hina et Nateo, jeunes polynésiens, mènent une vie secrète sur une plage mystérieuse. Leurs vies vont s'entremêler, et ensemble, ils protégeront le secret de Hina.