Je sors du travail aux environs de vingt et une heures. L'intense circulation ne me permet pas de rouler au delà de dix kilomètres par heure, surtout un vendredi soir en plein centre ville.
Comme la plupart du temps, mes pensées se tournent vers mes enfants. L'aînée, Mara, est aux petits soins pour moi. Elle s'efforce, élève modèle à l'inquiétude constante pour ceux qu'elle aime, d'être irréprochable, mais je ne m'y trompe pas. Ses sourires forcés et sa vie sociale désertique ne laissent aucun doute sur son épanouissement...
Kevin, de deux ans son cadet, est son contraire. Il n'a pas mis les pieds au lycée depuis le printemps dernier, et emploie son temps à traîner dans les terrains vague en compagnie d'une bande de jeunes déscolarisés au moins, trafiquants sans doute. Je n'ose plus entrer dans sa chambre jonché de mégots plus ou moins dissimulés, et retarde le moment de parler avec lui de son problème d'absentéisme.
La vielle Ford rechigne au démarrage, mais le cinquième essai est couronné de succès. La pluie épaisse s'éparpille en taches floues sur le pare brise, tandis que mes muscles se détendent. La journée a été longue, au total une soixantaine de clients dans la sandwicherie de douze mètres carrés.
Khaled a beau avoir travaillé dix ans dans un restaurant deux étoiles, le personnel sait très bien quel intérêt le patron porte à l'hygiène, entre les légumes vieux d'une semaine et les torchons lavés deux fois l'an. Par conséquent, je m'occupe personnellement de l'entretien des sols, de la vaisselle et des tables, soit une à deux heures de travail supplémentaires par jour pour lesquelles je ne suis pas payée.
Je m'engage dans la rue qui longe la place du marché, libérée des longues files de voitures du boulevard. Je me souviens qu'il manque du lait, et j'ai oublié de le noter sur la liste. Je me dirige vers la supérette familière, qui devrait, pourtant, être fermée. Peu importe. Je traverse la place pavée sous le regard du lampadaire qui éclaire le moment de façon trop vive, violente. Dans l'air flotte une odeur de danger. Des voix d'hommes se mêlent, je reconnais celle de l'épicier, tendue. L'autre homme est menaçant, il vocifère.
Je fais quelques pas jusqu'à l'entrée malgré mes jambes qui préféreraient retourner dans la voiture. Freddo est face à un homme plutôt jeune, baraqué, son manteau de cuir noir luit furieusement sous les néons tremblants. Il est penché en avant, et armé. Ma bouche s'ouvre et se fige, mes yeux s'agrandissent. En sursautant, le braqueur se tourne vers mon corps devenu statue. Son pistolet est pointé vers moi, à présent. L'épicier est horrifié, et au moment ou je le vois s'apprêtant à pousser l'intrus, l'autre tire. Son visage se tord. Un bruit énorme vient me percuter, résonnant dans tout mon être. Je ne respire plus. Je tombe, sans sentir le sol.
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Hina et la Lune
General FictionMara et Kevin, lycéens, vivent dans une banlieue avec leur mère. Hina et Nateo, jeunes polynésiens, mènent une vie secrète sur une plage mystérieuse. Leurs vies vont s'entremêler, et ensemble, ils protégeront le secret de Hina.