Partie 1 - Une année en enfer 1. Le déménagement

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Enfin, après des mois d'attente et de discussion, elle était là. Cette lettre que Renée avait tant attendue sans jamais y croire, celle de sa mutation acceptée dans un prestigieux établissement privé parisien. Adieu la capitale des Gaules et ses lumières, bonjour Lutèce, ses cent trente et quelques théâtres, ses innombrables musées et ses salons si nombreux, ceux que tous les grands philosophes ont arpenté un jour ou l'autre avant comme après la révolution. Renée n'avait qu'une hâte, retrouver le café Procope à la terrasse duquel elle avait passé la majeure partie de ses études et où elle avait rencontré cet affairiste Lyonnais plein de charme qui lui donna un bel enfant avant de partir trop tôt, quand Gabriel n'avait encore que huit ans. Il y a des voyages merveilleux et d'autres sans retour. Renée ne pouvait plus compter que sur son maigre salaire de professeur agrégée de philosophie pour subvenir à ses besoins et à ceux de son fils unique, une petite merveille aux cheveux châtain d'une finesse exemplaire qui tombaient comme des flèches en de multiples mèches, sur sa nuque et sur ses oreilles, toujours dirigés vers l'avant, comme si la curiosité du garçon envers le monde se reflétait jusque dans son implantation capillaire.

La région du Rhône lui rappelait trop l'homme de sa vie. Pendant plusieurs années, pour ne pas trop chambouler son fils déjà fortement marqué par la disparition dramatique de son père, Renée avait fait le choix de ne rien changer à leurs habitudes. Elle en avait souffert. Alors, quand Gabriel fut enfin rentré au collège, et alors qu'elle venait de jeter après une violente dispute l'amant de passage de trop, elle comprit qu'il était peut-être temps pour elle et son fils de prendre un nouveau départ dans la vie.

Le jeune garçon finissait juste son année de cinquième. Grâce à ses magnifiques yeux bleus avec lesquels il regardait ses camarades avec intérêt, et grâce à sa bouille avenante et adorable qui lui permettait de ne jamais se faire d'ennemis, il avait traversé sans problème les prémices de l'adolescence. En septembre, il fêterait son anniversaire et rentrerait en classe de quatrième. Il s'attendait à de nombreux changements. Il était très loin du compte.

Si Renée avait pu obtenir sa mutation au fameux lycée Sigismond, situé à quelques encablures à peine du centre historique et de l'île de la Cité, l'arrivée tardive de la confirmation de cette nouvelle affectation l'avait malheureusement empêchée d'inscrire son fils dans le collège privé rattaché à cet ensemble scolaire. C'était ballot mais on n'y pouvait rien. Quand elle lui avait demandé s'il souhaitait tenter sa chance dans un autre établissement sélectif, Gabriel, qui préférait regarder les oiseaux et qui n'avait que des notes moyennes, ce qui trahissait un certain manque de travail plus que d'intelligence, avait répondu qu'il s'en fichait, et qu'à choisir, il préférait encore le collège public du coin de la rue. Cela lui permettrait de se lever plus tard avant d'aller à la mine, expression qu'il avait reprise avec joie sans forcément la comprendre. Et puis, cela le changerait de Voltaire, le collège un peu bourge où il avait déjà passé deux ans.

Il ne croyait pas si bien dire.

« Gabriel, arrête avec ton instrument ! J'ai besoin de toi pour que tu m'aides à me repérer. C'est grand, la Seine-Saint-Denis ! Tu vas voir, on va être bien là, j'ai pu obtenir un grand T2 fraichement rénové pour un prix cadeau, juste à côté du RER. Bon, c'est plus petit que notre ancien appart, mais c'est temporaire, le temps que je trouve quelque chose de bien à côté de mon nouveau lycée. Et arrête avec ce violoncelle j' te dis ! C'est pas vrai, y a que mon fils pour jouer du Bach dans la voiture ! »

Affalé à l'arrière, Gabriel laissait ses doigts légèrement ronds guider son archet sur le prélude de la première suite du grand compositeur allemand. À vrai dire, ce n'était pas du violoncelle qu'il jouait, mais du violon, même si l'œuvre avait été écrite pour le plus grand des deux instruments. La différence ? Il s'en fichait, il était dans sa musique. Même si le jeune garçon n'était pas un foudre de guerre en math ou en histoire, il n'était pas en reste dans les matières moins académiques. Artiste dans l'âme, parfois nonchalant, parfois hyperactif, il excellait en sport – et avait même besoin d'une pratique intensive du water-polo pour trouver le sommeil le vendredi soir – ainsi qu'en art et en musique, matières dans lesquelles il était un jeune virtuose. En réalité, ses facilités étaient déconcertantes et rien ne lui résistait dès qu'il se mettait sérieusement à un quelconque ouvrage.

GabrielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant