20. Réunion des troupes.

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« Vous voyez, m'sieur Michel, vous cherchez le numéro dans votre répertoire et vous tapez le message comme ça, et enfin, vous cliquez sur envoyer ! Et hop, je viens de recevoir de vos nouvelles. C'est ça, la technologie ! »

Fidèle à ses habitudes, Gabriel peignait la Basilique du Sacré-Cœur avec son vieil ami avant de rejoindre les cours du soir. Le mois de mai voyait les jours s'allonger à n'en plus finir et la douceur printanière faisait du bien aux hirondelles qui ne se cachaient plus et qui voletaient aux alentours. Surtout, les couleurs étaient de retour après un hiver particulièrement rigoureux, et l'art semblait renaître dans toutes les rues. Intrigué par la dépendance aux nouvelles technologies du jeune collégien, le père Michel avait fini par craquer et par s'acheter un téléphone portable, officiellement pour ne plus manquer les appels de son petit frère qu'il ne voyait jamais, officieusement pour pouvoir lui aussi jouer à ces drôles de jeux électroniques quand il s'ennuyait et pour envoyer des « aissaimèss » à ses quelques rares amis, dont faisait désormais partie l'adolescent aux cheveux marron clair. Et alors que Gabriel lui montrait comment faire, le vieux monsieur s'émerveillait comme un petit enfant aux yeux particulièrement brillants. Le premier message qu'il envoya de ses propres mains, ce qui lui procura une immense fierté, était plutôt simple. « Il fait beau ». Son complice adolescent rigola avant de lui transmettre, par MMS, quelques photos qu'il avait faites de son « plan ». Le père Michel observa les croquis sur son petit écran puis, avec affection, il tapota la tête souriante du petit Gavroche qui se tenait à ses côtés.

« Ma foi, c'est une bonne idée p'tit Gaby, et c'est plutôt joli, mais tu vas t'faire allumer ! »

Quelques minutes plus tard, le jeune artiste se retrouva dans l'atelier de Madame Lesavre. Ses progrès avaient été tels qu'il avait fini par devenir la petite coqueluche de toute la troupe. Certains candidats aux concours des écoles d'art jalousaient même un petit peu cet impudent juvénile qui, malgré son très jeune âge, les dépassait allégrement dans tous les domaines. Maitrise technique, précision, sens du détail, imagination, sens artistique... Gabriel excellait et ne connaissait pas de faille. Seule la maitrise de l'outil informatique et des tablettes graphiques lui posait encore quelques problèmes. Il n'en avait pas à la maison et n'avait pu s'exercer que grâce à la sympathie de certains élèves qui lui avaient montré tout ce qu'on pouvait faire en quelques clics. Le collégien ignorait, avant cela, qu'une simple machine était capable de synthétiser toutes les couleurs du monde, et le découvrir lui fit forte impression. Cette petite démonstration avait achevé de le convaincre de mettre un tel jouet en haut de la liste pour son prochain anniversaire.

De son côté, Madame Lesavre était particulièrement fière de cet élève généreux et toujours positif. Le faire passer aux cours du soir avait été une excellente idée. Il se nourrissait de l'expérience d'artistes un peu plus confirmés et, étrangement, il les nourrissait en retour de sa fougue et de sa folie, quand il ne détendait pas tout simplement l'atmosphère en lançant une petite vanne d'autodérision de son cru, toujours pleine de références à ce qu'il étudiait au collège. « Couvrez-moi ce sein que je ne saurais voir, je suis collégien merde ! Bon, par contre, je veux bien voir le cul, c'est pour un dessin ! ». Cette petite sortie avait particulièrement fait rire l'assistance. Peut-être un peu moins la modèle qui remplaçait Élise. Depuis la fin des vacances d'avril et pour des raisons d'emploi du temps, la belle étudiante ne venait plus que le jeudi soir. Gabriel, lui, était abonné au mardi. Toutes les femmes et tous les hommes qui s'étaient succédé sur l'estrade avaient laissé le collégien et son anatomie plutôt stoïques. Il arrivait parfaitement à se contrôler et ne voyait plus, dans ces masses de chair infâmes, que du matériel animal pour améliorer son art.

Alors qu'il peignait sans trop réfléchir à ce qu'il reproduisait, l'adolescent aux yeux bleus expliqua son plan minutieusement à Seb'. Le baba-cool de service lui conseilla quelques ajustements et lui indiqua où se fournir en matière première au meilleur prix. Il suffisait au collégien de se rendre dans quelques magasins underground en se réclamant de lui pour avoir droit à la réduction réglementaire. Cette discussion choqua quelques oreilles indiscrètes qui s'imaginaient tout et n'importe quoi. Il n'était ici question que de matériel artistique, parfaitement légal. Juste un peu tombé du camion, mais en soi, ce n'était pas un crime, à la différence du manque de générosité de Renée quant à la dotation en argent de poche de son rejeton. À sa décharge, il fallait bien avouer que son fils, qui touchait son petit pécule le premier mercredi de chaque mois, avait le chic pour se retrouver sur la paille en moins d'une semaine, après avoir dévalisé librairies et boulangeries.

GabrielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant