8. À la découverte du premier amour !

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« Tain, mais t'es trop ouf, Gaby ! T'as d'autres idées à la con comme ça ? Je sais pas, quoi, t'as bien Julie et Margot dans la classe, tu vas quand même pas draguer Ana ? Mais son frère va te marave ta gueule si tu fais ça ! »

Quand, juste avant le début des vacances de la Toussaint, Gabriel avait expliqué à son camarade son souhait de sortir avec la seule fille qui l'avait accepté dans tout le collège, Djibril manqua de s'étrangler. À ses yeux, si Gabriel avait tout à fait le droit d'être un artiste un peu fou, cela ne justifiait cependant pas une telle inconscience. Les tensions entre les White Power et la Néo-France étaient à leur paroxysme. Les deux princesses à la tête de chaque groupe, Khoudia et Vanessa, avaient mis les troisièmes à feu et à sang, et Rachid, fer de lance de la révolte des nouveaux Français, faisait le nécessaire pour que les quatrièmes se plient à la règle qui avait valeur de loi dans la cour de récréation. Tous ceux pris en train de fraterniser avec l'autre camp se verraient immédiatement rejetés et roués de coups. Djibril, qui passait tant de temps avec Gabriel, n'avait eu la vie sauve que grâce à son joli minois et aux yeux de tigre de son camarade, qui avait décrété sa neutralité et celle de tous ceux qui le suivraient. Il était même allé jusqu'à préparer des pseudo-traités de paix qu'il avait imposés à sa classe en prenant Monsieur Musset à témoin. Au final, les deux camps en guerre ouverte avaient décidé de laisser de côté ce paria qui ne valait pas grand-chose. Pourtant, voir une jeune black, un petit Maghrébin et un céfran sympathiser à leur nez et à leur barbe était quelque chose de douloureux. Ils l'acceptaient par défaut, mais il ne fallait pas que ça aille plus loin, sans quoi ces foutus neutres seraient les prochains sur les listes punitives. L'équilibre était fragile, mais il était là, tant et si bien que beaucoup de jeunes adolescents isolés ou rejetés lorgnaient à présent du côté de ce groupuscule qui faisait fi des races et des origines, sans oser cependant se la jouer trop provoquant en le rejoignant officiellement.

« Ça va, Jiji, c'est juste ma gueule, c'est pas la tienne ! Arrête de faire comme si c'était toi qui risquais de t'en prendre une ! Et merde, je les emmerde ces abrutis, j'ai pas besoin de leur avis pour me choisir une copine. C'est des menaces en l'air de toute manière, ils ont rien dans l'froc ! Et je suis pas con hein, j'ai deux semaines de vacances devant moi, j'vais la promener dans la capitale loin de tous ces crevards, ils vont même pas comprendre ! Et Mamadou, il osera rien me faire, Ana est cent fois plus burnée que lui ! »

Gabriel en était sûr. La jeune Africaine lui plaisait sincèrement. Enfin, c'était une bonne copine, mais il n'avait pas jeté son dévolu sur elle par hasard. Il avait bien vu qu'un petit quelque chose était né entre eux. Il fallait battre le fer pendant qu'il était chaud. Même s'il n'était pas amoureux, il ne s'était jamais senti aussi proche de ce sentiment de toute sa vie. Et ce n'étaient pas quelques racailles en culotte courte qui allaient l'empêcher d'atteindre son objectif. Djibril, lui, se prenait la tête entre les mains, abattu par l'insouciance du jeune châtain. Ne rien vouloir comprendre à ce point, cela frisait le génie. Tremblotant et le regard mauvais, il grommela dans sa barbe le fond de sa pensée.

« Déjà, nan, c'est pas qu'ta gueule. Je suis ton pote, donc s'ils te tombent dessus, ils me tombent dessus aussi. Tu l'sais très bien ! Je sais même pas pourquoi j'te parle, c'est du suicide ! Un jour, ils vont m' le faire payer ! Et puis, t'es chiant à pas écouter, arrête de te croire différent des autres, bordel ! Ana, l'année dernière, elle est sortie plusieurs mois avec un mec, blanc comme un cul lui aussi. Il s'appelle Nicolas. Quand les histoires ont commencé, il a été le premier à se battre avec Rachid, ils se détestent. Et quelques jours après, il a cassé. Elle a pas arrêté de chialer jusqu'en juin ! »

Gabriel connaissait ce Nicolas. Un grand blond en troisième, pas très beau mais pas vilain, et surtout, le principal lieutenant de la fameuse Vanessa. En fait, personne dans le collège n'ignorait son nom. Dès qu'il fallait se friter avec les autres, il était présent. Pas un jour ne passait sans que lui et Rachid n'en viennent aux mains après un nouveau flot d'insultes racistes en tout genre, juste après les cours. Ils étaient allés tellement loin que la langue française ne leur suffisait plus pour échanger leurs amabilités. Le châtain aux yeux bleus avait toujours évité le moindre contact avec ce type qui ne lui plaisait pas. Apprendre qu'il avait sans doute serré sa petite Ana dans ses bras, voire même échangé un peu de salive avec elle, cela lui donna la nausée et, étrangement, lui offrit un boost de motivation dans sa quête de l'amour. Alors, il se leva de son cher banc, posa la main sur l'épaule de son copain, lui sourit, s'approcha de sa joue et y déposa un léger bisou en lui glissant à l'oreille le mot « Merci ». Djibril l'aurait bien repoussé en le traitant de tous les noms, mais, étrangement, son corps tétanisé ne répondait plus. Ses mains crispées sur son jean délavé refusaient de bouger tandis que sa respiration semblait se couper. Quand enfin il reprit ses esprits, Gabriel était déjà loin. Ce dernier avait eu le temps de courir jusqu'à son petit appartement, d'embrasser copieusement sa mère et de se brancher sur Facebook en espérant que la belle Africaine soit bien présente. Il avait une proposition tellement malhonnête à lui faire qu'il ne pouvait s'empêcher de ricaner en se mordillant la lèvre inférieure.

GabrielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant