4. Étude socio-gabrielistique de la classe

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« Rachid, si on t'a fait redoubler, c'est pour te donner une chance de réussir, pas pour que tu pionces ! »

Francis Musset n'en pouvait plus de ce jeune. Toujours la casquette à l'envers vissée sur son crâne rasé et toujours cet air complètement éteint et provoquant. Rachid avait déjà quatorze ans et redoublait sa quatrième après une année particulièrement difficile. Le problème ? Il ne foutait rien, rien de rien. Un glandeur insolent, en décrochage complet depuis le début du collège. Et en prime, ce jeune vaurien ne supportait pas l'autorité, ce qui le poussait à défier continuellement ses professeurs qui n'en pouvaient plus et n'espéraient qu'une seule chose, son départ précipité et définitif du collège Léon Blum. Mais du simple mauvais esprit ne pouvait pas justifier un renvoi. Bien sûr, Rachid s'était déjà battu avec ses camarades, mais toujours en dehors des heures de cours et des frontières de l'établissement, ce qui lui apportait une putain d'impunité particulièrement insupportable.

« J'en ai rien à foutre de vos maths de merde ! De toute manière, vous avez décidé que j'vais échouer, quoi que j'fais ! Les mecs comme moi, vous vous en foutez ! Même si j'voulais faire des études, vous m'en empêcherez ! »

En se passant la main sur le visage et en respirant bruyamment devant ce massacre linguistique, le professeur ne put s'empêcher de penser qu'en effet, le jeune Rachid ne finirait jamais polytechnicien. Mais il s'inscrivait en faux quand ce dernier accusait le corps professoral et la société d'être responsable de cet échec programmé. Méchamment, il le lui fit savoir.

« Déjà, si t'apprenais à utiliser le subjonctif et le conditionnel et à parler français correctement, on aurait peut-être un peu plus envie de t'aider. Mais si tu bosses autant en français que dans ma matière, je comprends pourquoi tout le monde baisse les bras avec toi. Ici, on pousse ceux qui ont envie de réussir. Toi, tu as décidé que, de toute façon, c'était notre faute, et tu ne fais aucun effort. Et là, tu m'soûles, si tu as décidé de perturber ma classe, je ne te laisserai pas faire. » Puis, lui ouvrant la porte : « Tu connais le chemin, mes amitiés au CPE. »

Lentement, en mâchouillant son chewing-gum comme une vache mastiquant de l'herbe, Rachid rangea son cahier déchiré et son stylo déglingué, se leva, avança tranquillement jusqu'à son professeur, le défia du regard, sortit et claqua la porte derrière lui avec une immense violence qui fit trembler les murs et qui sortit Gabriel de sa rêverie. Pour un lundi, c'était un drôle de lundi. À peine était-il revenu en cours qu'il découvrait avec joie le fonctionnement de son nouveau collège. Dans sa classe, une trentaine d'élèves dont il n'avait, pour la plupart, même pas entendu le nom. Sur une feuille volante, il s'était amusé à dresser un tableau comparatif pour classifier ses camarades selon plusieurs critères particulièrement subjectifs, tel l'air patibulaire, l'intelligence présumée, le port de la casquette et le capital sympathie. Cette dernière case était celle qui lui importait le plus et qui, malheureusement, lui apportait le moins de satisfaction. À une exception près : lorsqu'il s'était assis, au hasard, à la première table libre, il avait eu la surprise de voir qu'Ana s'était naturellement installée à côté de lui. Cela l'avait fait sourire et avait valu à la jeune fille une évaluation très positive.

Pour le reste, ce n'était pas gagné. La classe était composée pour plus des trois quarts de jeunes issus de l'immigration, ce qui était plutôt représentatif du quartier. Gabriel avait identifié dans cet ensemble quatre groupes distincts. Le premier était celui des greluches, qui lui faisaient étrangement penser à certaines filles décérébrées mais à la peau légèrement plus claire qu'il avait fréquentées en sixième et cinquième, comme quoi, la dégénérescence programmée de la société n'est en rien une question de couleur de cheveux mais bien plus une de fard à paupières. Elles passaient le plus clair de leur temps à textoter sur leur portable, à bêler comme des chèvres et à se crêper le chignon. La majorité de ces princesses de télé-réalité ayant déjà les cheveux crépus, cela faisait doucement sourire le jeune garçon aux yeux bleus.

GabrielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant